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Ah bon, l’enfer ? (une cons-versation)

Publié par le 7 février 2024

 

J’m’a gouré.
J’m’a emmêlé les mails.
Il y a beaucoup plus longtemps que je ne l’ai annoncé que le copain Olivier m’envoie des « Cons-versations » à sa manière. L’initiale, égarée dans les limbes des courriers électroniques et autres historiques, date de l’époque déjà lointaine où j’ai raconté ici-même comment, berger dans les Alpes, j’ai supporté toute la saison dans les hauteurs en n’ayant à ma disposition qu’un seul livre : un recueil de nouvelles fantastiques,
« Appelez-moi Un Exorciste » d’un auteur américain nommé Jérôme Bixby.
À lire ici : https://blog.thierryponcet.net/2021/06/un-ete-avec-bixby-01.html.
L’une des spécialités de cet auteur était de mettre en scène les condamnés à l’enfer et leurs démons bourreaux. Olivier s’en était inspiré pour écrire sa toute première (émouvant, non ?). L’ayant retrouvée, je vous la délivre aujourd’hui. Vous allez voir, y a déjà tout. Bonne lecture, potesses et poteaux !


Scène ordinaire des enfers : une cellule humide éclairée par des torches, quelques rats, des instruments de torture moyenâgeux. On y trouve deux personnages, un gros gras sale et un type enchaîné très énervé.

Le gros (fronçant les sourcils, signe indiquant que, contre toute attente, il se met à penser) :
Bizarre, plus j’le fais souffrir,  plus j’aime ça.
Enfin, je crois… Ce que j’suis certain, c’est que j’vas lui en remettre une couche. Il dit qu’ça fait deux ans que je l’ torture, ce pauvre gars. Et ce matin, la comédie ! Alors qu’j’ai même pas commencé

Le type (gémissant) :
S’il vous plaît, arrêtez, ne me faites plus de mal, je regrette, c’était plus fort que moi, assez …

Le gros (après avoir réfléchi quelques instants, les sourcils lui cachant carrément les yeux) :
Je ne comprends rien.
Je ne l’ai jamais vu, ce type. Pourquoi il est familier comme ça. Putain comme je n’aime pas ces gens : des gugusses qui, dès le premier contact, me parlent comme si y z’avaient gardé les vaches avec moi. Tiens, pour la peine, je vais lui faire roussir un poil les roustons. Au propane. La flamme est plus jolie, je trouve...

Tandis qu’il allume un chalumeau à gaz et en dirige la flamme sur l’entrejambe de l’homme enchaîné, il marmonne entre ses dents.

Le gros :
Dire qu’hier je me dorais la pilule du côté de Bora-Bora, deux petites nymphos pour s’occuper de moi, cocktail, chaise longue, mer verte… que du bonheur. Je savais que j’aurais dû couper ce putain de téléphone… Tiens, c’est bizarre, j’me rappelle plus qui que c’est qui m’a appelé… J’me rappelle même plus SI on m’a appelé ! On a dû le faire sinon j’serais pas revenu. Logique. Je dois avoir des absences. Je supporte de moins en moins la picole, faut croire. Et merde, voilà qu’il recommence à brailler, ce con !

Il relève le chalumeau, flamme pointée vers le plafond aussi voûté que suintant.

Le gros :
Parle abruti, et après j’te laisse tranquille.

Le type :
Vous ne m’avez pas posé de questions !

Le gros :
Ah bon ? De toute façon j’m’en fous de tes réponses. J’ai pas d’questions. J’suis là pour t’faire brailler, c’est tout.

Le type :
Dites-moi pourquoi vous me faites ça !

Le gros (rigolant) :
Il est con, lui ! Parce qu’on me l’a demandé bien sûr. Mais qu’il est con ! Tiens je vais t’niquer les doigts, ça t’apprendra à poser des questions cons.

Le type (beuglant) :
AHHHHH, mais ça fait super mal !

Le gros :
ÉVIDEMMENT, CONNARD !… Sinon j’le f’rais pas!

Le type (essayant de retrouver son souffle) :
Moi, je suis con ?… Et vous alors, vous n’êtes pas con ?… Vous… Vous… Vous ne savez même pas pourquoi vous me faites ça !… Ça ne vous gêne pas de venir TOUS les jours me torturer sans savoir pourquoi ?… Ça sent le simplet… Je dis ça comme ça, hein ?… Sans méchanceté… Hein le simplet ?

Le gros :
Qu’est-ce que tu racontes ? C‘est la première fois que j’te vois. Et si tu continues à me faire chier à me traiter de simplet ou j’sais pas quoi, j’passe la vitesse supérieure. Et tu vas regretter d’être tombé dans mes pattes. »

Le type :
Alors là je rigole. Qu’est-ce que vous pouvez me faire que vous n’avez pas déjà fait ? Vous m’avez brûlé, crevé les yeux, arraché les ongles et les dents, fait écouter Céline Dion pendant des heures, cassé les côtes à la barre à mine, écrasé des fers rouges sur mes cou….s, sodomisé avec tout ce qui vous a passé dans les mains, enfermé, ligoté dans une pièce avec des rats affamés, traîné par les cheveux sur trois kilomètres de tessons de bouteilles et puis, et puis… Je ne me rappelle plus le reste ! Alors je ne vois pas ce que vous pourriez inventer de plus, mon p’tit SIMPLET.

Le gros :
Je t’ai fais tout ça ? Moi ?

Le type :
Ouais mon pote. Même que tu m’as raconté tes conneries de vacances à Bora-Bora… T’es jamais allé dans aucune île, tocard. T’as jamais vu le soleil ni ta putain de mer turquoise. T’es même pas BRONZÉ, enfant de salaud ! Qui c’est qui m’a mis un abruti pareil, merde !

Il hurle en secouant ses chaînes.

Le type :
J’EN AI MARRE DE CELUI-LÀ,  DONNEZ-M’EN UN AUTRE ! VOUS ENTENDEZ ?

Le gros :
Mais voilà qu’y m’tutoie, ce con ! Et j’sais bien que j’étais à la plage hier. Et puis je l’saurais si que ça f’sait des années que j’te torture. J‘suis pas con, non plus !

Le type :
Y a pas à dire, ils ont fait fort.

Il braille en direction du plafond suintant et néanmoins voûté.

Le type :
Donnez-moi un pro, bordel de merde ! Je ne mérite pas ça ! J’ai pas été un fumier pendant cinquante ans pour finir avec un putain de débutant qui ne connaît pas son métier ! Merde, J’exige un pro ! Je veux un pro, un pro, un PRO !

Une voix horriblement rauque et terriblement puissante tombe du plafond suintant et voûté, interrompant les deux protagonistes.

La voix :
OK, OK. JE CROIS QUE VOUS N’AVEZ PAS TOUT COMPRIS. POUR VOUS, LE TARÉ, LE VIOLEUR, LE MEURTRIER EN SÉRIE DE LA PIRE ESPÈCE, VOTRE CHÂTIMENT EST DE SUBIR, NON SEULEMENT DES TORTURES POUR L’ÉTERNITÉ…

La voix émet un ricanement terriblement rauque et puissant.

La voix :
MAIS, VOUS QUI ÊTES UN PERFECTIONNISTE, UN MÉTICULEUX DANS VOTRE PARTIE, DE VOUS FAIRE INFLIGER CES SÉVICES PAR LE PLUS ABRUTI DE NOS DÉMONS DE CINQUIÈME ZONE. CELUI-CI A ÉTÉ RECALÉ CINQ-CENT QUARANTE-TROIS FOIS À L’EXAMEN DE BOURREAU. PAS MOINS. ET JE CROIS QUE VOUS VENEZ DE NOUS CONFIRMER NOTRE CHOIX.

Le type (sanglotant) :
C‘est dégueulasse, bande d’enc… !

Le gros (se montrant du majeur) :
Heu, c’est d’moi qu’on parle là ? Non, parce que j’me souviens pas d’avoir raté un examen depuis un bout de temps. Même que j’me souviens pas d’avoir passé un examen un jour.

La voix :
ET POUR CAUSE, GROS CRÉTIN : ON TE VIDE LA MÉMOIRE TOUS LES JOURS.

Le gros :
Ah bon ???.

(À suivre)

 

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