Car voici qu’au fond du ciel / Apparaît la lune rousse / L’Ami Olivier, pétant encore une bielle / Décide de nous foutre la frousse… Wou-ou-ouh, hurlent les loups. Nyark nyark nyark, les diables rient beaucoup. Hé hé hé, nous aussi dans notre coin / On rigole un brin…
Nuit. Forêt épaisse. Plan d’ensemble sur un village dans une clairière. Quelques fenêtres sont pauvrement éclairées.
Banc-titre :
Village de KOUING, au cœur de la forêt de Brocéliande
La caméra s’approche d’une fenêtre plus brillante que les autres. Plan sur l’enseigne de la maison : la silhouette d’un gnome en train de courir. Plan sur la façade. On peut lire, en lettres tarabisco-celtiques : LE TROT DU TROLL, bar.
Intérieur nuit, Troll-bar
Devant le comptoir se tiennent une vieille femme péripatéto-celtique lascivement collée à son Zoulou de mari et un druide barbu. Derrière, le patron bossu grave le menu du lendemain sur une ardoise.
Le druide lève la tête, tend les bras et ferme les yeux.
Le druide (incantant) :
Mandragotin, écoute ton serviteur Merlin, Ô Seigneur des Ténèbres, viens à nous et abreuve nos coupes du nectar des dieux !
Le patron rentre ses griffes, soupire, empoigne une bouteille ventrue et remplit les gobelets en étain.
Le patron (bougonnant) :
Eh, Merlinaux, l’ex intermittent du spectacle, combien de fois que j’t’ai dit d’m’appeler par mon nom ? C’est « Marcel ». Mar-cel. Est-ce que j’t’appelle-ti « Merlin », moi ?
Merlinaux :
Tu devrais.
Le Zoulou :
Merci Marcel.
Marcel :
Pas de quoi, Shaka.
La femme péripato-celtique (soupirant avec nostalgie) :
J’en ai avalé des litres, même que ça paye bien mieux que tout recracher. Et puis c’est plus propre.
Shaka (ayant goûté le contenu de sa timbale) :
Toi Claudie femme impure avoir raison. Nectar bu à la source, bien chaud mais bien frais. Sang guerrier, Après, Shaka plus fort.
Merlin ouvre les yeux, baisse la tête, est constate que son gobelet est plein.
Merlinaux :
Putain, j’ai réussi ! Foi de Merlin, je suis toujours un grand magicien. Fées, trolls, farfadets, papa est de retour ! I’m back ! Hips !…
Shaka :
Shaka refaire black liste. Dernier client pas bon. Sang noir, trop noir, pas bon. Trop vieux guerrier.
Claudie consulte son carnet en réajustant ses double foyers.
Claudie :
Mardi et jeudi, Ehpad « Les Doux Souvenirs ». Mercredi et vendredi c’est la maison de retraite « Les Souvenirs Doux ». Pas confondre. Remarque, c’est du vieux de toutes façons.
Shaka :
Vieux sorcier dire à ancêtre Shaka » Toi partir boire sang jeune ». Tribu ennemie installée près territoire Shaka. Tribu bizarre. Puis homme blanc attraper ancêtre. Maintenant Shaka ici. Lui attraper Claudie.
Merlinaux fouille ses poches et les retourne vides.
Merlinaux :
Je suis à cours d’herbes médicinales. Heureusement, je viens d’apprendre qu’ils organisent une rave ce week-end derrière chez le gros Alphonse, je trouverai tout ce qu’il me faut là-bas.
Claudie (rangeant le carnet dans son sac) :
Une rave, excellent ça ! Je laisse passer le premier jour, et vu comme ils se défoncent, ils ne seront pas très regardant sur la marchandise le deuxième. Je vais me remplir la bourse et vider les leurs.
Shaka (posant sa main sur le bras de sa compagne) :
Toi bien choisir victimes car eux un peu piqués, eux boire trucs bizarres. Dernière fois, toi aussi bizarre. Toi devoir faire plus attention.
Merlinaux (levant les bras vers le plafond du bar) :
Oh Grand Noirpineur, écoute ma voix et rempli encore de nectar mon verre solitaire !
Marcel s’exécute en rouspétant dans sa barbe qu’il ne s’appelle pas Noirpineur mais Marcel, Mar-cel, m, a, r, c, e, l, c’est pas compliqué, merde…
Shaka a sorti son coutelas. Il en vérifie la lame. Satisfait, il le remet dans son étui.
Shaka :
Moi chasser première nuit rave, sang meilleur. Nuit sans lune, bonne nuit pour homme noir. Shaka mettre pagne noir, Shaka invisible.
Marcel dresse l’oreille – qu’il a pointue – et note quelque-chose de la griffe sur un bout d’écorce.
Merlin :
Moi, je vais remettre mon vieux treillis réformé. Sont-ils couillons ces teuffeurs. Ils se disent anarchistes mais ils se fringuent comme les bidasses. L’avantage, c’est qu’ils paient en liquide… (Une association d’idées lui fait regarder le fond de sa timbale) Oh putain de l’enfer, ça marche vraiment ! Le Grand Merlin est de retour, le temps de la magie est revenu. Vive Lancelot, vive Arthur ! Vive moi !
Il boit cul sec son Chouchen, frappe son verre puis son front sur le comptoir. Marcel nettoie quelques traces suspectes et se tourne vers le couple.
Marcel :
Claudie, Shak’, pouvez v’nir m’aider à sortir Merlinaux ? Et lui tenir compagnie le temps qu’j’appelle Morgane pour qu’a vienne eul’ chercher ?
Claudie (se levant) :
Pas de problème. On te doit combien Marcel ?
Marcel :
Pas de ça entre nous Claudie. Rappelle juste à Shak’ de m’ramener deux cœurs et quelques foies pas trop avinés samedi soir. C’est bientôt la pleine lune. Ma femme elle en aura b’soin pour sa transformation. (Il sourit en montrant ses crocs) La chair humaine, c’est bon pour son teint.
(À suivre)