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Métro, bien trop ! (une cons-versation)

Publié par le 31 juillet 2024

 

Aujourd’hui, l’ami Olivier respecte une structure classique. Les spécialistes diront : une fois n’est pas coutume. En effet, les plus érudits d’entre vous ne manqueront pas de reconnaître dans la « cons-versation » ci-dessous le modèle naguère applaudi de la série du Café Des Trois pigeons, de votre modeste serviteur, Je-Moi-Même-En-Personne. Différenciation des langages, tragique incommunicabilité de l’existence, unité de temps, de lieu et d’action, sans oublier la petite touche de théâtre de l’absurde… Quel talent ! (J’t’en foutrais, moi…)

Bar de la Pie de Sancy. Au-delà de la vitrine, on devine le décor d’un bourg paisible : une petite église au bord d’un square, des ménagères passant, des enfants jouant, sur le trottoir des poubelles traînant, négligées par les éboueurs municipaux. À l’intérieur, au comptoir, une demi-fesse sur un tabouret, Hervé Leberton, retraité encore vert, la coupe rase et le maintien roide de l’ancien militaire, lit le journal. Posé devant lui, à côté d’une Suze qu’on devine rituelle, un smartphone allumé témoigne de sa connection au monde moderne. Assise à une table voisine, Françoise Debetton, vêtue d’une informe robe à fleurs, chevilles gonflées et charentaises effilochées, bougonne dans le vide devant un verre de gnôle forte. Manu Verlan est au flipper.

Plan sur le journal qui annonce en une : « Le métro, c’est pour bientôt ! », avec un point d’exclamation gros comme ça.

Hervé (déclamant:

Le métropolitain, la solution à tous nos problèmes ! Je sais ce que je dis : Wi-fi gratuite et prise de courant pour mon i-Phone. Conduite automatique. Silence de l’électrique. Trois minutes pour traverser la ville !

Françoise (lorgnant sur les gros titres) :

Moi j’dis qui faut pas y faire eud’trou là où qu’y en pas. Au pire, pour l’dernier voyage, mais pas trop profond. J’aime pas les trous.

Manu (sauvageant le flipper) :
Yoche, moi chus chébran du tromé. À moi la levil, les neltus xcellents, plein d’murs, j’vas me faire une guéma quefresc, genre l’escalade et l’oxydée…

Hervé (nostalgique) :
Ça me rappellera nos chouettes tunnels qu’on faisait en Indochine. Je sais ce que je dis : j’y étais. Je notais tous les cent mètres « Hervé est passé par là ». Ça en jette plus que les amerloques avec leur « Kilroy was here »…

Manu (il s’excite, fait tilt et gratifie la vitre du flipper d’une grande claque) :

Kill Kill, ouaiche, j’vais t’bébonb tout ça. Bigmanu, c’est le king of the tags.

Françoise :

Des taupes, voilà c’que vous s’rez. Quand tout vous tombera d’sus, y rigoleront les fossoyeurs vu qu’y aura rien à fossoyer. Moi, je rigolerai avec eux. J’en veux pas d’votre train souterrain.

Hervé :

Je sais qu’ils ont embauché des p’tits jaunes pour creuser. C‘est vrai qu’ils sont bons pour ça. Je sais ce que je dis : j’y étais. Efficaces, les salauds. Forcément, ils sont petits ! Et puis (il plisse exagérément les paupières) les yeux bridés, ça voit mieux dans le noir. Nous ont donné des leçons, en Indo.

Françoise (se renfrognant) :
Une fois, à eul’ capitale, obligée, j’a fait l’enterrée. Ben ça pue pire qu’un bouc. Du bruit pire qu’un cochon qu’on égorge. Ça s’coue pire qu’un trembliot d’terre. On gn’y gn’est serrés pire qu’des sardines dans sin boîte. Plus jamais ! Plutôt plonger dans l’fond d’n’un puits…

Manu (écartant les mains, dans le geste du metteur en scène qui cadre un paysage) :
Yoche, moi j’vas lui guétas ses gonwas queblanc. S’ra un flot de leurcous quépsy, my life sur l’flanby gaucho et tous mes topos underground sur l’flanby doigt. Ma teutê d’vant sonfa Andy yawol !

Une Cadillac vient de se garer devant le bar, le chauffeur se met au garde à vous près de la porte arrière.

Françoise (se levant péniblement) :

V‘là mon n’Albert. Pas vu l’temps passer, moille… B’soir la c’pagnie !

Charentaises glissant sur le carrelage usé, elle sort pour rejoindre la limousine. Alors que celle-ci s’éloigne dans un ronronnement feutré, une Mercedes taguée monte brutalement sur le trottoir et pile en shootant une poubelle. À l’intérieur, audible malgré les vitres fumées remontées, un chanteur de rap invite qui veut bien l’entendre à fighter le power.

Manu :

Ouaiche , v’la mon binlard qui come m’chéchère…(Il file un dernier coup d’latte au flipper, balance un bifton de 50 sur le comptoir) Pour l’nersopel ! Tcho !

Une cloche sonne dans l’église voisine. Une superbe jaguar s’arrête face à l’entrée.

Hervé :

Dix-huit heures, je sais ce que je dis…

Il replie son journal, rectifie un pli de son falzar et se dirige vers la sortie. Une fois dehors, il déplie sa trottinette et file sur le trottoir.

Pourquoi pas ?

(À suivre)

 

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