Mais qui est donc cet Olivier qui s’immisce mercreditement dans les colonnes de ce blog ? Mystère et boule de gnome. Une piste néanmoins : il fait ses courses au supermarché. C’est mince, comme indice, hein, chef ? C’est mince.
Casino du quartier des Fagondières, lundi 6 juin 1985 vers 8h45. (quarante ans après le débarquement). Face à l’entrée, en plein courant d’air, Laetitia, caissière toute en chair et en gueule. Monsieur Fernand, retraité, amoureux transi de Laetitia, met un point d’honneur à être son premier client. Aujourd’hui, c’est le grand jour : il va lui déclarer sa flamme.
Le tapis roulant roule. La caisse est prête à caisser. Laetitia enlève une poussière fantôme de son corsage, se claque les deux battoirs qui lui servent de mains et les frotte vigoureusement afin de rétablir la circulation du sang (le lundi, elle aide le poissonnier à répandre deux cents kilos de glace sur son étal).
Fernand (posant délicatement son panier de course) :
Bonjour madame Laetitia, vous allez bien ce matin ?
Il démarre fort. L’horoscope est formel, c’est aujourd’hui que son avenir se joue. Madame Irma, plus le shaman du 14 rue st Expédit, maître Vendredi de la cour du vieux vaudou, le sorcier des Batignolles, même le curé (défroqué) de la chapelle des rhums arrangés lui ont confirmé ce que Mamadou du VIIème arrondissement a lu dans les lignes de sa main. Il y avait beaucoup de lignes mais le message était clair.
Fernand :
Je trouve que vous avez bonne mine…
Il pose sur le tapis une brique de lait bio, du pain de mie, six yaourts nature, un steak haché, une salade, une boîte de pâté de foie Naf-Naf et un pot de confiture à l’orange.
Laetitia (scannant la boîte de pâté) :
Yep m’sieur Fernand, f’dèle au poste et vige’lante, mais pour combien de temps ? Vec l’ex salade d’la vie au lance dans l’cartier, chaque jour est p’tête le der.
Fernand (se voulant rassurant) :
Allons z’enfant, le jour n’est pas arrivé où l’on va devoir longer les murs en regardant derrière son dos.
Laetitia :
S’voit qu’vous v’nez pas ascète heures du mat ! La faune ki danse ma rue m’frisonne les poils du dos. Corps ta leur en v’nant, y’m’reluquait l’cuir en ricard ahanant. J’m’ai r’tour nez mais z’ont r’gardé tailleur.
Fernand :
Gardez confiance, ces féroces concitoyens aboient mais la caravane passe. La preuve, vous êtes bon pied bon œil à l’ouvrage tous les matins.
Laetitia lui adresse un clin d’œil et lui montre les bottes commandos qu’elle porte aux pieds.
Laetitia :
Charentaises renforcées-sécu et z’yeux zen sagaies. J’me méfie et chuis prête à répandre du raisin. Y n’m’auront pas sans mâle.
Fernand (se penchant légèrement vers le décolleté bien rempli, baissant la voix) :
Ma foi, n’ayant ni fils ni parent pour m’accompagner, nous pourrions cheminer ensemble puisque nous vivons dans le même quartier. Ainsi, je surveillerai vos arrières et vous surveillerez mes avants.
Laetitia s’offusque pour la forme mais son visage rosit légèrement.
Laetitia :
Surveiller mes arts hier ? En V’là une idée ? S’rait pas plutôt pour me r’luquer le louvoyeur ? J’dis pas qu’s’a’me gène mais à votre âge, c’est-y bien raisonne arbre ?
Fernand :
Ah ma bonne, on me dit vert pour mon âge, et ma foi, quand on est en bonne compagnie, la route peut être plus plaisante. Je dirais même plus : comme on ne voit pas le temps passer, la distance paraît plus courte. Sans oublier qu’en voyant un homme à vos côtés, les gens peu recommandables se tiendront à distance.
Laetitia (tendant une main potelée vers le dernier objet) :
Chus pas contre les dés, maison astrakan, r’prochez donc c’pot d’con fioriture de ma caisse, j’pas l’bras z’assez long. Sank you. Ça f’ra 39,45 zorros siou’plait.
Monsieur Fernand sort son porte-monnaie, dépose la somme exacte et range ses commissions dans son panier. Il récupère son ticket de caisse, en profite pour effleurer la main qu’il convoite.
Fernand :
Alors, pour demain ? Battrons-nous ensemble les pavés vous menant à votre lieu de labeur ?
Laetitia :
Bas tronc p’tête pas mais ch’pense qu’salami frais plaisir d’ivoire rein homme à mon bras deux mains matin…
Elle penche la tête et regarde monsieur Fernand malicieusement, prend une grande inspiration, montgolfiérant sa généreuse poitrine
Laetitia (rosissant encore plus) :
Si l’chemin fait bon, p’tête conan visage ras, un r’tour en bi-homme ? Épluche si infinité !
Monsieur Fernand à son tour prend des couleurs et rajeunit de dix ans. Il se redresse en bombant son menu torse.
Fernand (d’une voix ferme) :
Tout le plaisir sera pour NOUS. A demain aux aurores, ma chère Laetitia, je vous souhaite une excellente journée.
Saisissant fièrement son petit panier, il salue la caissière et se projette d’un pas léger et dansant vers la sortie. Avant que les portes coulissantes ne se referment, Laetitia peut l’entendre chanter.
Fernand (sautillant) :
« C’était un p’tit bonheur que j’avais ramassé, il était tout en pleurs sur le bord d’un fossé… »
Laetitia :
Bon ben sel partout…
Elle se tourne vers le client suivant, occupé à zyeuter ses plantureux poumons.
Laetitia :
Cake vous z’avez, vous, dent vot’chariot ?
(À suivre)