Quand vient la fin de l’été / Sur ces pa-a-a-jeux / Et que sonne la-a rentrée / Il faut bien qu’il s’en ai-ai-ailleu / Le grand déjanté tant aimé / Oui j’ai cité l’ami Olivier / Qui a signé sur ces pa-a-ages / Ces cons-versations bien cinglées. Mais séchez cette humidité qui brûle vos paupières, potesses et poteaux : il nous reviendra bientôt. Déjà dans ses archives s’entasse la matière d’une prochaine saison… En attendant, accrochez-vous, car pour cette dernière de la saison, il s’est… comment dire ?… Lâché. Oui, lâché. Bien, bien, bien lâché.
La pièce est plongée dans le noir bien noir. L’imposante boîte en bois d’ébène noire comme la nuit noire, qui était posée sur des tréteaux, a basculé. Elle se retrouve de guingois contre la paroi. À l’humidité qui règne et aux lents balancements de roulis et de tangage, on reconnaît une cale de bateau. Il est trois heures quarante-sept. Nous sommes le le 4 janvier.
Une voix féminine :
Hummmmm !…
Une voix plus grave :
Hummm !?!…
La première voix (exaspérée) :
Et m… Zut, encore loupé !… Vlad ! VLAD !!!
La voix grave (ensommeillée) :
Hummmm ? Druisella ? Ma chérie ?…
Druisella (grognant, secouant son mari) :
Allez, Vlad, réveille-toi, quoi ! Tu me bloques le bras. J’ai des fourmis.
Vlad :
Hein ?… Qu… Qu’est-ce qui… Ça alo… Encore vivant, j’ai l’impression. Dis, chérie, on dirait qu’on s’est ratés, non ?
Druisella :
Comme tu dis !… Je le savais, que les champignons n’étaient pas aussi toxiques que tu le prétendais.
Vlad (s’offusquant) :
C’est pas moi. C’est l’autre Musso, là, « L’Italo » ! Du premier choix, il disait. Je vais retourner le voir, il va me rembourser. Et avec intérêts, le p’tit con !
Druisella (doutant) :
Où est-ce que tu l’as trouvé ce type ? Il n’avait pas l’air trop pro dans sa partie. Pousse-toi un peu vers la gauche s’il te plaît…
Vlad :
Oh tu sais, tu vois un type qui connaît un type qui connaît un type… On m’avait certifié qu’il aurait ce qu’il fallait.
Druisella :
Bon ben, en attendant, ça n’a pas marché, en plus j’ai très mal au ventre. Il faut que j’aille faire un dépôt d’aisance.
Vlad :
Ah ? Okay. En attendant, lève un peu tes fesses, je crois que le beeper a glissé vers toi.
Druisella :
Pourquoi aurait-il glissé ? Tu l’avais mis entre nous pour que l’on puisse l’attraper au cas où il n’y en aurait qu’un à y passer. Allez, quoi pousse toi, tu m’écrases.
Vlad (tout en tâtonnant) :
Pas normal ça… J’ai bien spécifié à Igor de ne rien toucher. Et surtout d’attendre deux jours avant d’entreprendre quoique ce soit.
Druisella (serrant les dents et les fesses) :
Normal ou pas, tu m’appuies dessus et je commence à vraiment me sentir mal. Ma vessie donne des signes inquiétants.
Vlad :
Merde, où est donc passé ce foutu beeper ? Lève un peu plus ton derrière ma chérie, il doit être coincé dans ta raie…
Druisella (gloussant) :
Chéri… Allons… Je ne crois pas que ce soit le moment de me tripoter la caverne. Si ton, hmmmm… bipeur y était, je le saurais. Hmmm… Tu sais que je suis hyper sensible, humm… de ce côté-là. (Haussant brusquement le ton) : OUI ! Là, oui, là ! Oh mon cochon, vas-y continue, c’est bon…
Vlad :
Je sens bien que ça te fait de l’effet mais si tu en veux plus, il va falloir sortir de là. Seulement voilà : il n’y a qu’Igor qui peut nous ouvrir.
Druisella (haletant) :
Je sais… Je sais… Mais, oh ! fais-moi plaisir ! Continue encore un peu, voilà, un peu, juste un petit peu, oh ! Ah ! J’y suis presque…
Vlad (s’activant du bout des doigts) :
D’accord. Mais presse-toi ! Je commence à avoir mal au bras. Ton postérieur pèse son poids.
Druisella :
Oui, oui, OUI, OUIIIII !!!…
Vlad :
…
Druisella :
Ouf. Merci mon chéri. Tu peux reprendre ta main. J’ai adoré. Par contre, si on ne sort pas dans les prochaines minutes, je ne réponds plus de moi. Je vais tout lâcher dans ma culotte, et bonjour la marée, voire plus.
Vlad (alerté) :
Ah non, pas de ça ! Je suis là, retiens toi ! Je vais appeler. (Il crie) :
IGOR, IGOR, OUVREZ-NOUS, IGOR, ÇA N’A PAS MARCHÉ, IGOR !!!!
Le comte et la comtesse tendent l’oreille mais rien ne se produit.
Druisella (s’énervant) :
Mais qu’est-ce qu’il fait, cet abruti de bossu ? Il ne devait pas bouger de la pièce…. (Elle appelle à son tour) : IGOR !
Vlad :
Il est peut-être parti aux toilettes ?
Druisella :
Ah, ne me parle pas de toilettes, je sens que je ne vais pas tenir encore longtemps… Oh ! Attent… Oh !… Je… (Elle soupire de soulagement). En fait c’est parti… Désolée, mais qu’est-ce que ça fait du bien !
Vlad (se grattant le nez et sentant ses doigts) :
Quatrième essai raté. Je commence à douter. On devrait changer de méthode, non ? Chacun de son côté, peut-être ?
Druisella :
Ah non, on a dit : « ensemble ». La méthode est bonne, ce sont les ingrédients qui déconnent. La prochaine fois, on le fait à l’arsenic. Les Borgia ont démontré son efficacité.
Vlad (acquiesçant) :
Si tu veux. Mais pour qu’il y ait une prochaine fois, nous devons sortir de là. IGORRRR ! IG… (Il s’interrompt et renifle). C’est toi, cette odeur ? Fumier des Carpathes, qu’est-ce que ça pue ! Tu n’aurais pas dû finir la viande, je l’ai trouvé un peu verte sur les bords…
Druisella :
Je n’aime pas gâcher. J’aime bien mâcher et j’aime les steaks hachés… mais pousse-toi donc, tu m’étouffes. Comment se fait-il que tu sois sur moi comme ça ?
Vlad :
Nous ne sommes plus à l’horizontale. Soit le cercueil est tombé. Soit nous nous sommes échoués. J’avais demandé à Igor de nous surveiller, nous. Si ça se trouve, il m’a obéi et, tout à sa tâche, il n’a pas fait attention au bateau.
La comtesse montre une certaine irritation mais garde son calme. Ils n’en sont pas à leur premier essai.
Druisella :
IGOR ! Mon petit Igor ! IGOR, RAMENEZ-VOUS !… Et s’il avait été éjecté, hein ? S’il s’était noyé ? On est mal, là. On va mourir étouffés. Ça risque d’être long. Et ennuyeux, surtout.
Vlad (reniflant de plus belle) :
Sans parler de l’odeur !
Druisella :
Oh, tout de suite…
Vlad :
Gardons espoir, ma chérie. Igor a le pied marin. Plus ça va, plus je pense qu’il est resté à la barre et que, de là-haut, il ne nous entend pas. Il finira bien par descendre. Prenons notre mal en patience.
Druisella (le ton décidé) :
Patience mon cul ! Pas question. Je prends les choses en mains…
Elle se trémousse, envoie sa senestre en exploration et atteint son objectif. Un « zip » conclut l’action.
Vlad (frémissant) :
Eh, tu as de drôles de manières de prendre MES choses en mains !
Druisella :
Aux grands maux les grands remèdes. Tu cries tellement fort quand tu prends ton pied que tout l’immeuble se plaint. Aujourd’hui tu vas crier pour nous sortir de là. Allez, au boulot !
Nous parviennent les froufroutements soyeux de la culotte de monsieur, laquelle s’anime de rapides va-et-vient.
Vlad :
Oooohhh… Booonnne iiidééééee !… Oui chérie, continue… Qu… Quel pied !… Oui… Oui… OUI OUI OUI OUIIIIIIIII !… IG ! IG ! IGORRRRR !!!
Des bruits de pas précipités se font entendre. Quelqu’un descend du pont. Une voix d’outre-tombe s’élève.
Igor :
Oh là là, mais que f’est-il paffé ? Monfieur, Madame ? Toujours fifants ? Pas de mal ? Le fercueil a bafculé. Vaut dire qu’il y a de la houle aufourd’hui…
Vlad (coupant) :
Ouvrez-nous Igor. Madame n’en peut plus, et moi non plus.
Igor ramasse un outil que le roulis avait envoyé contre la paroi.
Igor :
Oui monfieur, tout de fuite. Ve remets tout en plafe et ve vous délifre. Deux coups de pied de biche et fous ferez libres. Dites, fous ne trouffez pas que fa fent bifarre ?
Quelques instants plus tard, quelques odeurs en plus, quelques copeaux de bois par terre, quelques envies assouvies, quelques explications données, le comte, son épouse et leur serviteur se remettent de leurs émotions autour d’un verre de Castel-Hémoglo cuvée 2024.
Igor (s’étant raclé la gorge) :
Ve me fuis renfeigné fe matin. Pour votre fuifide il n’y a que deux folufions…
Druisella tourne vers lui son blanc visage baigné du clair de lune.
Druisella (hautaine) :
Nous les connaissons, les deux solutions. Il n’en est pas question. Mon corps ne sera ni perforé ni brûlé. Et je refuse catégoriquement d’avoir la tête tranchée.
Igor (baissant la tête, contrit) :
Ve fuis défolé mais quand on est fampire…
Druisella :
Non et non, on ne revient pas là-dessus…
Vlad (la rassurant d’une voix rassurante) :
Okay, okay, ma chérie. On fera comme prévu. (Il se tourne vers son majordome) Igor, mon bon, nous remettons le couvert après-demain. Veuillez préparer deux doses d’arsenic auquel on pourrait ajouter un peu de mort au rat, pour le goût. Et pensez à bien caler le cercueil cette fois. (Il pose sa main sur celle de son épouse) Chérie, hum… pour le cas où il y aurait, hum… encore un raté. Par commodité, je vous suggère…un jeûne.
(À suivre)