Le Danois Hans Christian Andersen (1805-1875) a laissé à la postérité La Reine Des Neiges, Les Chaussons Rouges, La Petite Sirène, Le Rossignol Et L’Empereur De Chine, La Petite Fille Aux Allumettes. Entre autres. L’Ami Olivier, lui, a écrit La P’tite Gueuse Aux Z’Allumettes. C’est dire qu’il ne faut pas lui en conter. Gniark !
Résumé : La gueusette est pauvre, la gueusette est laide, la gueusette survit en vendant des allumettes sur le trottoir à des passants qui s’amusent à la cogner. Un jour, elle trouve par hasard un couteau aux pouvoirs magiques…
La p’tite gueuse aux z’allumettes, conte de Noël (suite)
Aux braillements de sa voisine, la fripouillotte se précipite. Quand elle arrive sur les lieux, c’est pour découvrir le cadavre de son voisin à côté de sa mégère qui vient de choir au sol, évanouie. La tête de l’homme n’est plus qu’un crâne fumant. L’odeur de chair brûlée est telle qu’elle prend la gueuse à la gorge. Elle tousse. Elle pleure. Mais ça ne l’empêche pas d’ouvrir à tâtons le deuxième tiroir du buffet : elle sait que c’est là, tout au fond, qu’est caché le magot du couple.
La voilà tranquillement installée chez elle à compter les sous, tout en gambergeant.
Cette histoire de sculpture… l’allumette sculptée… l’effigie du voisin… le couteau brillant dans le noir… la lame qui devient rouge comme du feu… qui s’allonge d’elle-même…
– Et si … se dit-elle. Si ce couteau… Non, ce n’est pas possible… Des coïncidences… On n’est pas dans un conte d’Andersen, merdouille !…
La journée pleine d’émotion l’a épuisée. Elle se laisse tomber sur sa paillasse et sombre dans un sommeil traversé de rêvasseries agréables peuplées de couteaux qui sculptent à coups de flammes des corps trépignant et de têtes brûlées dont les chairs se détachent et tombent dans les gueules ouvertes de phacochères en rut…
Le lendemain matin, bien reposée, la p’tite gueuse aux z’allumettes va s’installer sur son bout de trottoir habituel.
C’est Noël. La journée s’annonce bonne : le froid est piquotant malgré le soleil. Un temps à vendre plein de boîtes d’allumettes pour allumer des bons feux dans les cheminées enguirlandées.
Son enthousiasme baisse d’un cran au passage du fils du notaire, Charles-Henri, qui lui allonge une rafale de coups de pieds. Des bottines neuves à bouts ferré – son cadeau de Noël – font bien plus mal que les anciennes.
Plus tard, juste avant midi, c’est le balayeur qui la force à dégager le temps de nettoyer le trottoir. Il est de mauvaise humeur d’avoir à travailler le jour de Noël. Son balai en paille de fer laisse quelques balafres artistiques sur les cuisses de la donzelle. Les trois frères de la rue des Chicots passent à leur tour, renversent son carton, et, tandis qu’elle ramasse ses boîtes d’allumettes éparses, jouent à qui lui balancera le plus de crachats.
– Joyeux Noël, la mauvaise !
– Joyeux Noël, la mocheté !
– Joyeux Noël, la merdure !
En fin d’après-midi, en guise de bonus, un clochard alcoolique s’effondre sur elle en vomissant son picrate.
– Beuarg !…
– Salopiot ! T’en peux pas dégueuler n’ailleurs, soûlot !
– Eurg…
De retour à la maison, recouverte de bleus, de plaies et de dégobillons, la parricidette est surprise du calme qui règne dans la maison. Personne pour la rosser. Alors que, la faim au ventre, elle se demande s’il serait raisonnable de sacrifier un porcelet, acte ô combien interdit du vivant du daron, elle aperçoit le couteau sur la table où elle l’a laissé. Il s’est mis à scintillasser d’un doux rougeoiement.
– T’es d’accord ? demande-t-elle tout haut en empoignant le manche. Ben pisque t’es d’accord…
Une heure plus tard, elle déguste le foie délicat du premier goret accouru à son appel.
– Hmmmm…
La viande bien écarlate, au goût ferreux de sang fond dans sa bouche. Le cadavre éviscéré attire des grosses mouches vertes, mais pas de trop.
– M’en vais laisser le reste sur la table, décide-t-elle. La viande l’aura faisandé au matin. Al’ s’ra encore plus goûteuse…
Le petit couteau ne cesse de l’obnubiler. Maintenant, elle le tient serré en permanence dans sa mimine sans pouvoir le lâcher. Une sorte de chaleur vibrante semble en émaner. Elle repense à la veille, à son papa offert aux cochons. À la scène avec son voisin et ce qui s’en est ensuivi…
La gueusette est peut-être laide mais pas aussi conne qu’on pourrait le croire.
– On va bien voir…
La maligne va chercher une boîte d’allumettes et, repoussant la barbaque, en répand le contenu sur la table, dans un coin vierge d’hémoglobine.
Alors, elle prend une profonde inspiration et déclare :
– C’est Noël.
Un silence qu’on dirait chargé de tumultes succède à cette affirmation.
– C’est l’jour des cadeaux, poursuit-elle. Moi, j’veux six allumettes.
Elle réfléchit un instant et ajoute, pensant que ça ferait bien :
– Abracadabra et ri et ran, larirette, résonnez clarinettes et alléluia !
La lame du surin se met aussitôt à briller si fort que la môminette est obligée de fermer les yeux. Elle chuchote d’un seul souffle six noms, puis, l’âme apaisée comme jamais auparavant, avec, flottant sur ses lèvres le premier vrai sourire de son existence, elle regagne d’un pas léger sa paillasse et s’endort sur un rôt à l’odeur cochonnieuse.
Quand elle se réveille, elle trouve alignées sur la table six allumettes délicatement sculptées. Munie de son verre grossissant, la galopine vérifie qu’elles sont bien conformes à ses souhaits. Ensuite, un rictus joyeux aux lèvres, elle les dépose dans une boîte de mort-au-rats vide et, pour la première fois depuis des temps immémoriaux, quitte son taudis sans sa marchandise.
– On z’y va, songe-t-elle. Que ça s’ra chacun son tour. Chacun son puuuuuutain de tour !
Le premier est couché à l’abri du vent derrière l’auberge du quartier. Il est en train de manger des restes que les chiens du propriétaire lui ont laissé.
– Joyeux Noël, le galeux ! T’as pas trop froid ?
Le clochard lui jette un regard nauséeux :
– Casse-toi morveuse. C’est mon coin ici.
– Ne m’en veux pas d’trop pour ce qui va t’arriver.
– De quoi ?
Le clochard lui jette un os. Elle l’évite sans problème, puis craque sa première allumette. Le clochard, imbibé d’alcool, se transforme instantanément en un brasier furieux. Ses hurlements font bien plaisir à la luronne. Les flammes chatoyantes illuminent la ruelle.
– Allez salut, lance-t-elle à la silhouette qui se tord dans les flammes. J’resterais bien pour admirer l’spectacle, mais j’ai d’autres rendez-vous…
Un peu plus loin, elle aperçoit le cantonnier qui prend sa pause. Assis sur le bord de sa brouette, mégot au coin des lèvres, il cherche quelque-chose.
– Joyeux Noël, monsieur le balayeur ! Besoin d’une allumette, qu’on dirait ?
– Grmf…
Cette sale gamine qui se fourre tous les jours dans ses pattes ! pense-t-il. Il lui enverrait bien son pied entre les cuisses avant de la chasser à coups de manche de balai sur le croupion, mais il se trouve qu’elle tombe à pic.
– Donne.
Il prend l’allumette :
– Casse-toi maintenant, crasseuse.
– Nan, j’veux te voir l’allumer.
Le cantonnier hausse les épaules et gratte sa mort contre le mur.
TCHOUF !!!
La fripounette se réjouit du résultat, mais elle ne s’attarde pas : si on la voit dans les environs, non mais c’est rien de dire qu’elle pourrait avoir des problèmes !
Elle s’éloigne donc, tout en savourant les cris d’agonie derrière elle.
Les petits bourgeois sont les suivants. Ils sont réunis en famille pour célébrer leur triple anniversaire, car les divins triplés sont nés le jour de Noël.
Le dessert est servi. Les trois affreux sont alignés devant une magnifique bûche à la crème. Trois bougies se dressent fièrement dans la chantilly. La bonne vieille cuisinière, les larmes aux yeux, que c’est pas tant possible un bonheur pareil, les allume d’un seul geste. Les convives se réjouissent dans un tonnerre d’applaudissements et de z’hourras avant de réaliser qu’ils sont en train de saluer l’embrasement général des mignons. Les acclamations se muent en cris d’horreurs, en harmonie avec les hurlements de douleur des petits z’enfants suppliciés.
Une bonne odeur de barbecue emplit la salle à manger.
Les trois silhouettes infernales se mettent à courir, aveugles torches humaines qui répandent l’incendie dans la pièce puis un peu partout dans la maison. Quelques membres de la famille se précipitent vers la sortie. Ils se heurtent à la porte close, vu que la gueusette, cette farceuse, a pris soin de la bloquer de l’extérieur.
Plus tard, dans les décombres, on dénombrera neufs cadavres.
Si c’est pas misère !
Des flammes s’échappent encore des fenêtres de la belle demeure, rue des Chicots, que c’est au tour de Charles Henri. La freluquette, égayée par les évènements précédents, le retrouve dans le parc de la propriété de ses parents, chevauchant un magnifique alezan qu’il mène au trot.
Un, deux, trois. Un, deux, trois…
– Pauvre bête, se dit la fillette. Elle ne mérite pas ça.
Puis elle se souvient que c’est à un de ces foutus canassons qu’elle doit sa claudication. Aussi craque-t-elle sa dernière allumette en criant :
– Joyeux Noël !
Le jeune homme s’embrase instantanément et s’effondre sur le cheval qui devient fou et se met à galoper.
– Qu’il est idiot, se dit la fripouille. F’rait mieux de se rouler par terre. Non mais que c’est-y con, un cheval !
La monture et son cavalier foncent droit devant, suivis d’un élégant tourbillon de fumée fleurant bon le poil roussi et la chair de cavalier brûlée. Le droit devant se transforme tout d’un coup en néant quand l’équipage parvient à la clôture qui sépare le domaine du ravin des Veuves, comme est nommé le gouffre qui bée à cet endroit.
La bête ne voit pas le barbelé qui lui déchire les pattes et le fait valdinguer. Monture et cavalier disparaissent dans un néant où, comme dit la fameuse chanson :
« Il tourne, il tourne / Il tournera toujours et toujours / Jusqu’au moment fatal où, animal incendié / Il s’écrasera à terre et pourra enfin crever ».
C’est en gambadant, légère et insouciante que la maintenant meurtrière en série retourne chez elle. Un petit verre d’eau de vie pour fêter tout ça.
– C’est Noël ! Qu’pour une fois j’ai z’eu mes cadeaux !
Elle pose le couteau sur la table et trinque avec lui en cognant son verre contre le manche. Un petit verre d’eau de vie pour fêter sa journée.
– Noël, le jour des cadeaux…
Elle trinque avec le couteau.
Un petit verre d’eau de vie pour fêter sa journée. Noël, à ta santé le couteau.
Un petit Noël d’eau de journée pour vie fêter verre. Santé, le couteau.
Un petit verre d’eau de vie fêter journée. Noël. Santé le couteau.
Un petit verre d’eau de vie. Noyeux Joël. Gna sa tanté, gni couteau.
Un gni verre c’est Noël des cadeaux mais nien n’a fout’. Hein, le gnouteau ?
Engnore un p’tit v…
Elle boit tant et si bien qu’elle en tombe de son tabouret. Sa tête heurte le sol. Du fond de l’inconscience dans laquelle elle sombre, elle entend une voix d’outre-tombe hurler :
– À TA SANTÉ, MIGNONNE !
Il est presque minuit quand elle se réveille. La pleine lune s’est invitée par la fenêtre festonnée de toiles d’araignées en guise de guirlandes. Un rayon éclaire le centre de la table.
Y est posé le couteau.
Et, à côté : une allumette sculptée.
Pas besoin de vérifier, la petite marchande sait qui elle représente.
– Tout travail mérite salaire, murmure-t-elle.
De toute façon, sa vie n’a jamais valu d’être vécue.
Laide, boiteuse, rouquemoute, tueuse et, un jour probable, héroïnomane…
Voilà l’avenir.
L’avenir ?
Pfff…
Elle jette un dernier regard à ce foyer merdique dans lequel elle a grandi, tend le bras et se saisit de l’allumette. Elle baisse la tête. Elle renifle un coup. Elle chuchote :
– Joyeux Noël, la Gueuse.
Et elle frotte l’allumette.
Le matin suivant, des gendarmes passèrent devant le taudis. Les cris des cochons affamés et la porte entrouverte les intriguèrent. Le chef, un brigadier qui se désolait d’être de service le lendemain de jour de fête, qui plus est dans le quartier le plus pourri de la ville, entra dans la maison.
Il ne trouva personne.
Il remarqua seulement un tas de cendres sous une chaise et, sur la table, un petit couteau.
Le brigadier le trouva joli.
Attirant.
Étrangement attirant.
Il le ramassa et le mit dans sa poche.
FIN.
Joyeux Noël à toutes et tous de la part de l’Ami Olivier. Gniark.