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Qui parle à la glace… (une cons-versation)

Publié par le 29 décembre 2025


– Ami Olivier, le thème de la gémellité semble être une récurrence dans vos célèbres dialogues ?
– C’est poilant que vous me demandiez ça. Le jeune Thierry Poncet, alors que je lui filais un coup de main de fin d’année pour une espèce de petit blog qu’il animait, me l’avait fait remarquer…
– Alors ?
– Eh bien je crois qu’un seul génie ne me suffisait pas. Il m’en fallait deux.
– Un génie qui éclate à chaque réplique. Je cite : « Une goutte d’eau et j’existe ! ». Quel talent.
– Je ne le vous fais pas dire.
– Et la figure du diable, elle aussi fréquente ?
– Gniark, gniark, gniark…
– Mais que faites-vous ? Qui êtes vous ? AU SECOURS !…


Dimanche, dans ce no man’s land entre les festoiements de Noël et les festivités du nouvel an, sur les conseils d’un pote, je suis allé déjeuner au restaurant « Le Trou Noir ». Murs, sol, plafond, tables, chaises, assiettes, couverts y sont noirs. Même les tenues des serveurs et serveuses sont de la même couleur charbon.

À la fin du repas, je bois mon café (noir) et gagne les toilettes avant de régler la note.

Si on choisit de faire « gazouiller fauvette » debout, on se trouve devant un miroir de sorcière : une petite glace ronde à hauteur de visage, qui ne reflète que lui. Plus, ce serait gênant.

Une fois déballé mon fourbi, je vise au mieux. Les concepteurs ont collé sur la porcelaine noire un point blanc qui aide à bien viser. Les chutes du Niagara se mettent en route. Alors que je relève la tête, je réalise que mon reflet, lui, a les yeux baissés.

Moi :
Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?… Eh, toi, je te parle !

Mon autre moi (Moi-lui) reste penché encore une seconde, puis lève les yeux vers moi (Moi-moi) les sourcils haussés. Il a l’air surpris et amusé.

Moi-lui :
Dis donc, Man, il est tout petit !

Perplexe d’avoir parlé à mon reflet, encore plus perplexe de recevoir une réponse, je baisse les yeux, l’instinct mâle étant ce qu’il est, pour vérifier l’aspect de mon engin.

Moi-moi (masculinement outré) :
Comment ça, tout petit ?

Moi-lui (goguenard) :
Mi-nus-cu-le, Bro’.

Moi-moi (ne m’en laissant pas conter) :
La glace ne descend pas si bas. Pas de glace, pas de reflet. Tu ne vois rien. C’est du pipeau, ton histoire de taille.

Moi-lui (s’esclaffant) :
N’empêche, tu as regardé, Frère. En fait, c’est l’autre matin que j’ai remarqué la taille. Dans la salle de bain, quand tu te fais kiffer avec tes exercices de frimeur. Tu sais, à essayer de bander les muscles que tu n’as pas.

Moi-moi (que ça commence à bien faire, quoi!) :
J’ai des muscles ! Pas énormes mais j’en ai. Et en relief en plus. Toi, t’es plat comme la poitrine d’une anorexique pendant une grève de la faim.

Moi-lui :
Normal, Man. Un reflet, c’est plat. Au pire je serais un hologramme. Là, on pourrait parler relief musculaire. À ce propos, Brother, tu m’accorderais une faveur ?

Moi-moi :
Attends, on va continuer la discussion ailleurs que devant la cuvette des chiottes. On se retrouve au lavabo, d’accord ?

Je la secoue trois fois (plus c’est jouer avec) et la range au chaud dans mon pantalon. Je sors de la cabine et vais me laver les mains.

Moi-moi :
Alors, c’est quoi cette faveur ?

Le miroir du lavabo est plus grand. Je m’y vois jusqu’à la ceinture. C’est un peu moins troublant que tout à l’heure. Enfin, je trouve.

Moi-lui (croisant des bras que maintenant je vois) :
On échange nos places pendant vingt-quatre heures. Cool, hein ? Tu prends ma place et moi la tienne.

Un peu surpris, je m’accorde un temps de réflexion. Je vais me sécher les mains sous le machin soufflant et reviens me planter devant le miroir.

Moi-moi (bluffant) :
Pourquoi pas ?… Tu me donnes la méthode et on le fait.

Moi-lui (se rapprochant pour me (moi) regarder droit dans les yeux) :
Ici, maintenant, c’est possible… Tu ne me crois pas, hein ?

Moi-moi :
Ben, à vrai dire, pas trop. Mais, vu que je suis en train de te parler, peut-être qu’un truc aussi invraisemblable est possible. Mais attends : si je prends ta place, je n’ai plus vraiment d’existence ?

Moi-lui (levant les bras) :
Mais si, Man ! Tu ne t’en rends pas compte mais je suis aussi vivant que toi. Tu te reflètes partout et pratiquement tout le temps. Une goutte d’eau et j’existe ! Une vitre de magasin. Un pare-chocs chromé. Plus tous les miroirs, bien sûr, et parfois, s’ils sont bien orientés, à des dizaines d’exemplaires…

Je baisse la tête et fixe le robinet. Il me balance un petit clin d’œil. Je me tourne vers le mur recouvert de faïence noire. Il m’adresse un signe de la main. Je retourne devant le sèche-main. Là encore mon reflet me sourit. Il a raison : je suis, il est, partout. Je regarde ma montre et au bout de quelques secondes, arrive à distinguer une partie de mon visage : c’est Moi-lui !

Moi-moi :
Vu comme ça… hum ! Allez, pourquoi pas, je suis partant mais attention, on échange nos places pendant une journée. Une journée seulement.

Moi-lui :
No problem, Man. Moi je kiffe ma life. Si je te propose cet échange, c’est pour toi. Pour que tu vives une expérience unique.

Moi-moi :
Comment ça se passe ? Je dois faire un truc spécial ? Il y a une formule magique ? Je dois faire un pentagramme avec mon sang ? Sacrifier une vierge ?…

Moi-lui (levant les mains et les remuant de droite à gauche) :
Non, non, rien d’aussi gore. Pas de sang, pas de formule, pas de peinture ni de dessin sur les murs, Brother. Un simple claquement de doigts en disant « Prends ma place ! » alors que tu me regardes bien dans les yeux.

Moi-moi (dubitatif) :
C’est tout ? « Prends ma place » et clac ?… Ça ne fait pas très magique.

Moi-lui (haussant les épaules) :
Le monde change, Man. C’est fini les incantations plus ou moins bidons des pseudos sorciers. Maintenant on va à l’essentiel. Alors qu’est-ce que tu décides, Bro’ ? On le fait ?

Moi (Moi-moi), j’ai un petit défaut : quand un truc me branche, je ne tergiverse pas et je me lance. Aussi, sans attendre je le regarde droit dans les yeux (Moi-lui) et, tout en claquant des doigts, prononce les trois mots « magiques ».

Moi-moi :
PRENDS MA PLACE !

Moi-lui (s’écriant trop tard) :
Att… NOOOOON !

Mon double disparaît. Comme s’il était tombé dans un trou. Je n’aperçois plus que le haut de sa tête.

Moi-lui (d’en bas) :
Bon, c’est de ma faute. Reste cool, Bro’. Attends une minute que je remonte.

Des mains attrapent le bord du lavabo. Les « hans ! » d’effort pour ramener une moitié de corps en face du miroir me dit que je devrais faire un peu plus d’exercice physique. Enfin, me voilà (lui) à bon port. Il est coupé au niveau de la ceinture. Pas de sang ni de viscères. Juste, euh… interrompu. Il fait quand même un peu la gueule. Du coup, moi (moi) aussi.

Moi-lui :
Tu vas te reculer de façon à te voir en entier dans le miroir, d’accord ? Et à ce moment-là et seulement à ce moment-là, tu dis la formule. Pas de précipitations, Man, vérifie bien que tu te (me) vois en entier.

Moi-moi :
Wouah, mais c’est fantastique ! Tu vis alors que tu es coupé en deux. C’est dingue ! Tu ne veux pas qu’on monte un spectacle ? Mieux que tout ce qui existe, pas besoin de partenaire, je suis mon propre partenaire et je me coupe moi-même en deux !

Moi-lui (me faisant signe de me calmer) :
Ouais. Cool. Pas mal comme idée, Man. Mais pour le moment, on va refaire l’échange avant qu’un pingouin n’entre et me découvre comme ça. Regarde-moi (toi).

J’obéis.

Moi-lui (ses yeux dans les miens, claquant des doigts » :
PRENDS MA PLACE !

Je me retrouve debout devant le lavabo. En un seul morceau. Je vérifie en me tâtant les hanches.

Moi-moi :
Y a un truc qui m’échappe. C’est normal que je sois en entier alors que toi, tu ne l’étais pas ?

Moi-lui m’adresse un geste désinvolte signifiant de ne pas me poser trop de question.

Moi-lui :
T’occupes. C’est comme avec le génie dans la lampe, Man. On a droit à trois essais. Bon, maintenant recule de quelques pas.

Je. Moi. Moi-moi.

Moi-lui :
Non, attends ! Va d’abord régler la note, prends tes affaires et reviens ici. Comme ça, je sors tranquillement profiter de cette nuit. Demain, je reviens ici même, me fais le bon petit gueuleton de ma life, et on reprend nos places respectives. Nous allons vivre un truc complètement dingue, Frère.

Il a raison, je ne peux pas passer à côté d’une aventure pareille, même si elle ne va durer que vingt- quatre heures. Je retourne donc dans la salle, récupère mon blouson et vais régler l’addition. Je reviens aux toilettes. Je vérifie que je suis bien seul et me poste à la bonne distance du miroir.

Moi-moi :
Vingt-quatre heures, hein ?

Moi-lui (souriant, levant un pouce) :
Les plus folles vingt-quatre heures de ton existence. Allez, dis les mots magiques !

J’hésite. Le premier essai m’a un peu refroidi. Je vérifie une dernière fois que je suis en entier dans le miroir. Mes mains sont moites. Je ne suis pas sûr de pouvoir claquer des doigts. Faut que je les essuie sur mon blouson.

Moi-lui (s’énervant) :
ALLEZ, MAN !… T’attends quoi ?

Et puis merde, je me lance !

Moi-moi (regardant Moi-lui droit dans les yeux et claquant des doigts) :
PRENDS MA PLACE !

BLAM !

Oh putain !… Au moment où je claque des doigts, un type qui veut pisser ouvre la porte. Par réflexe j’ai tendu le bras pour la retenir. Résultat, Moi-lui, devenu Moi-moi, se casse la figure. Mon bras étant sorti du cadre du miroir au moment de l’échange, il s’en trouve dépourvu et n’a pas pu se retenir.

Moi-lui (c’est-à-dire Moi-moi) :
EN COURS DE NETTOYAGE ! Revenez dans dix minutes !

Le gus balance un grand coup de pied dans la porte. Au bruit, je pense qu’il l’a prise dans la figure.

Le type (de derrière la porte) :
Mais gn’est con, ce mec ! Il gn’a pété l’nez!

Il essaie de rentrer à nouveau mais je (l’ex Moi-lui) l’en empêche.

Le type :
OUVRE-MOI, CONNARD, ET PAS DANS UNE HEURE ! »

Moi-moi (ex Moi-lui) :
Désolé. Je vous ouvre tout de suite. Laissez-moi juste le temps de ranger mon matériel. (Il (moi) se poste juste derrière la porte) Voilà, vous pouvez entrer !

Le type :
Gna gnop tôt !

Le gars entre en se tenant le nez. Moi-moi-ex-lui le chope par le col de sa veste et lui balance un coup de boule. Le gars a beau être balaise, il est KO avant de toucher le sol.

Moi-lui (ex-moi) :
Connard toi-même, Mec !

Il file un méchant coup de latte à l’homme étalé par terre.

Moi-moi (ex-lui, depuis mon miroir) :
Pourquoi t’as fait ça ? Il n’a pas fait exprès. Il voulait juste pisser un coup.

Moi-lui :
Ben il pisse le sang maintenant. À cause de lui, il me manque un bras. T’inquiète pas pour lui, il s’en remettra. Bon, faut qu’on recommence tout…

Il verrouille la porte et se retourne vers le miroir. Il lève la main. Claquement de doigts. Formule.

BLAM !

Me revoilà dans les toilettes. On est revenus au point de départ. Moi-moi c’est moi. Moi-lui c’est lui, dans le miroir. Un coup d’œil à droite, un à gauche, j’ai mes deux bras. On a tous les deux le bon nombre de membres. Mon premier réflexe est de me pencher pour voir comment va le mec à terre.

Moi-lui :
Laisse-le ! Il est bien là où il est. Connard ! On reprend, bordel à queue de merde : reviens à ta place et prononce cette putain de formule, qu’on en finisse !

Là, je tique. Je ne comprends pas pourquoi il est si énervé. De plus, je lui trouve maintenant une tête bizarre. Ses yeux sont plus rouges que marrons, et sa tête, même si c’est la mienne, me semble plus grosse. Il y a comme deux petites bosses en haut du front, à la lisière des cheveux.

Moi-moi :
Tu vas bien ? Je te trouve différent. Plus … rouge ! Et tu as des bosses sur la tête. Tu as aussi de drôles de yeux.

Je tâte mon propre front, moite mais sans relief.

Moi-lui (ulcéré) :
Fais pas chier la bite, bordel ! Magne-toi de dire la formule, j’ai pas toute la putain de nuit !

Maintenant, je le trouve franchement antipathique. Il a l’air d’être plus grand et plus large. Ses oreilles s’allongent en pointe. C’est moi, mais dans une version, je dirais, dérangeante. Très dérangeante.

Moi-moi :
Quand même, tu es bizarre.

Moi-lui grimace. Les bosses sur son front ressemblent à des cornes des biquettes naines. Il se prend les cheveux qui lui restent dans les mains.

Moi-lui :
PRONONCE LA FORMULE CONNARD ! TU M’ENTENDS ? DIS CETTE PUTAIN DE FORMUUUULE !!!

Ses fringues se mettent à fumer. Elles disparaissent complètement. Ce n’est plus moi dans la glace, ni Moi-moi, ni Moi-lui, mais un gaillard à poil de deux mètres, tout rouge, avec des cornes de bouquetins et un truc monstrueux entre des jambes poilues.

L’être (ex Moi-lui, donc ex Moi-moi, de fait) :
LA FORMULE ! PRONONCE LA FORMULE, BORDEL DE MERDE !!!

Je (moi) recule, cherche la poignée de la porte mais celle-ci ne s’ouvre pas. Je tourne la tête une seconde, juste pour déverrouiller le loquet. Quand je regarde de nouveau vers la glace, le… la… la chose n’est plus rouge mais écarlate. Elle flamboie littéralement. Des lézardes courent à la surface de sa peau rouge. Dessous apparaissent des ruisseaux de braises ardentes.

Moi :
Hey mec, tu devrais te calmer, t’es en train de cramer.

Lui (gémissant) :
J’t’emmmmmmeeeeeeerrrrrde…

Il tombe en morceaux.

Le silence qui suit n’est troublé que par la respiration laborieuse du gars au sol, toujours inconscient. Dans le miroir, je retrouve mon image de beau gosse. Je m’approche. M’observe un moment. Mon reflet ne m’adresse pas de clin d’œil ni n’examine ma braguette. Parfait.

Moi (au type par terre) :
Bonsoir, monsieur. Et désolé pour le nez.

Je l’enjambe et sort enfin de ces toilettes d’enfer.

Sais pas si j’y retournerai, moi, au Trou Noir…

(À suivre)

Chers potesses et poteaux, dernière minute : il vous est désormais possible de vous adresser directement à l’Ami Olivier pour lui dire tout le bien que vous pensez de ses « cons-versations » ou le traiter de noms d’oiseaux (en ce cas, nous vous prions d’être créatifs). C’est ici : barjolivier@orange.fr

 

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