Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); un serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.
Grandjaune :
(se curant les dents)
Tant que les notables de nos ex-colonies continueront à se payer des Mercedes avec les subventions internationales destinées à leurs compatriotes nécessiteux, je continuerai à crier : tout va bien !
Labière :
C’est comme moi. Mon chauffeur ne veut plus de la Toyota. Il menace de démissionner si je ne lui paye pas une Mercedes.
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Ceux qui prétendent que l’argent occidental devrait être justement réparti parmi ceux qui crèvent de faim ou de maladie au lieu d’atterrir dans les poches des dirigeants corrompus ne sont que des romantiques humanitaires aveuglés par les poncifs du caritarisme galopant !
Labière :
(allumant un cigare)
Mon pauvre chauffeur ! Il a honte de notre vieille Toyota quand il va chercher mon dernier à la grille du lycée français…
Grandjaune :
Le premier soin des parvenus locaux est d’inscrire dans les meilleures écoles leurs rejetons obèses, gâtés depuis l’enfance par des nounous esclaves. C’est la crème de nos professeurs qui est mobilisée afin de transmettre à ces héritiers les connaissances nécessaires pour gérer la fortune ignominieusement amassée par papa !
Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.
Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
Une Mercedes ! Tout ça pour faire comme son frère qui est chauffeur, LUI, dans une organisation internationale. Mais moi, alors, pas question : j’ai horreur des bagnoles allemandes…
Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Laissons-les faire !… Laissons-les se rouler dans l’or, se soûler au Cognac, arroser les cuisses de leurs courtisanes de parfum français et vomir sur les coussins de leurs berlines de luxe !
(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)
Laissons-les pourrir. Des mafias d’aujourd’hui naîtront les élites de demain !!!
Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
J’ai trouvé un compromis : je vais essayer d’avoir un 4×4 par le bureau…
(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)