Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.
Grandjaune :
(se curant les dents)
A ceux qui osent prétendre que les individus atteints par la maturité doivent être boutés hors des entreprises, je le dis tout net : haro sur le baudet !
Labière :
C’est comme moi. Au bureau, j’ai fait mettre ma vieille secrétaire en pré-retraite. C’est qu’elle avait quarante-cinq ans…
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
Une société qui renonce à profiter de l’expérience durement acquise par ses aînés, à la sagesse blanchie sous le harnais des responsabilités grandissantes, au fataliste sang-froid de ceux qui ont su gravir les nécessaires échelons de la hiérarchie professionnelle, est vouée à devenir une sorte de cloaque pollué par le jeunisme bêtifiant.
Labière :
(allumant un cigare)
Elle avait beau mettre des jupes de plus en plus courtes et des chemisiers de plus en plus échancrés, on voyait bien que tout ça n’était plus de la première fraîcheur…
Grandjaune :
Si nous n’y prenons garde, ce sera bientôt l’économie toute entière qui sera aux mains de puceaux à l’acné fiévreuse et de donzelles au nombril à l’air ne sachant pas encore faire la différence entre leur cervelle et leur popotin !
Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.
Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
Ils m’ont affecté une jeune Gabonaise. Si la taille de poitrine et le tour de hanches ont un quelconque rapport arithmétique avec la compétence, alors elle est très compétente…
Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Instituons la retraite à quatre-vingt dix ans, garnissons les halls des entreprises de distributeurs de couches d’incontinence, remplaçons les machines à café par des machines à tisane aromatisée à la badiane, rendons les déambulateurs obligatoires dans les couloirs !
(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)
Osons la maturité ! La vieillesse, c’est le futur !
Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
Ce qu’il me faudrait maintenant, c’est une petite stagiaire. Dix-huit ans mais pas trop plus…
(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)
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