Au comptoir de l’hôtel du Gros-Colon sont assis messieurs Grandjaune (commerçant) et Labière (salarié expatrié); le serveur indigène en veste blanche se tient en faction devant eux ; en arrière-plan, un ventilateur de plafond tourne paresseusement.
Grandjaune :
(se curant les dents)
Quand j’entend à la radio métropolitaine certains écologistes probablement chevelus, à la voix rendue traînante par un évident usage des drogues douces, vitupérer contre notre glorieuse industrie nucléaire et préconiser le recours aux énergies dites renouvelables, je n’ai qu’un réflexe : actionner l’interrupteur !
Labière :
C’est comme moi. J’ai lu quelque-part qu’un chercheur américain a inventé un appareil capable de récupérer l’électricité créée par un couple en train de faire l’amour…
Grandjaune :
(contemplant un bout de viande au bout de son cure-dents)
D’une manière aussi intransigeante qu’impérative, je refuse que, tandis qu’au secret de nos prestigieux centres de recherches, des élites formées dans les plus hautes écoles de la nation s’échinent dans le silence et la discrétion de la vraie grandeur à améliorer sans cesse la qualité de notre énergie, on laisse la parole à ces trublions rescapés d’un mouvement hippie depuis longtemps démonétisé !
Labière :
(allumant un cigare)
En fait, c’est tout simple. On glisse un appareil en forme de balançoire sous les pieds du lit. Un : le type entre. Deux, le type sort. La balançoire récupère le va-et-vient et le tour est joué. On devrait appeler ça une « body-namo », non ?…
Grandjaune :
Si les médias continuent à tendre leurs complaisants micros devant les barbes des apôtres de la décroissance, l’homme occidental se retrouvera bientôt assis à même la roche, s’évertuant pendant des heures à chauffer ses raviolis à l’aide d’une loupe, à regarder les informations du soir sur un téléviseur pauvrement alimenté par une éolienne, à moudre le sacro-saint café du matin au moyen d’une roue à aube, s’il ne se trouve pas réduit, tel n’importe quel indigène sous-développé, à se chauffer, lui et les siens, auprès d’un feu de brindilles agonisant !
Les mâchoires serrées et le regard noir, il brise le cure-dents.
Labière :
(soufflant un nuage de fumée)
J’en achèterais bien une, moi, de ces balançoires. Pensez, si on compte ma femme, mes trois maîtresses, plus les occasionnelles, ça me ferait de sacrées économies en essence pour le générateur de la villa…
Grandjaune :
(empoignant son verre avec une sombre détermination)
Foin d’hypocrisie ! Halte aux faux semblants ! Gâchons sans ambages ! Faisons tourner les réacteurs atomiques au maximum de leur puissance ! Laissons allumées les lumières dans toutes les pièces ! Réglons les thermostats à trente degrés en plein été ! Installons des radiateurs électriques dans tous les foyers de nos ex-colonies tropicales et des chambres froides dans nos territoires antarctiques !
(Il vide son verre et frappe du poing sur le comptoir)
Gaspillons, puisque tel est notre privilège ! N’en déplaise à Aragon, en occident, l’avenir de l’homme, ce n’est pas la femme, c’est l’atome !
Labière :
(souriant, faisant signe au serveur)
Naturellement, il resterait ma petite stagiaire, au bureau. Il faudrait installer un appareil sous la photocopieuse. Je ne sais pas si je vous l’ai dit : j’adore les photocopies…
(Après une révérence, le serveur remplit leurs verres)