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Goanna massacre – épisode 04

Publié par le 7 janvier 2024

 

– C’est quand même trop total beau !
Mary-Maud mouilla la bande collante, finit de rouler le joint et, se l’étant coincé entre les lèvres, l’alluma d’un coup de Zippo.
Pur, le stick. Un mince tortillon de papier avec cent pour cent de marijuana dedans.
Mélanger du tabac à cette herbe ?
Cette dynamite cent pour cent explosive ?
Ce cadeau de Shoona, une métisse aborigène de Mount-Elizabeth grave conquise après un concert ?
Non sens. Gâchis. Totale hérésie.

– Grave beau ! Super méga giga beau !
Le bush infini. Rouge. Nu.
– Trop total pur !
Si dénué de trace humaine, vu que Mary-Maud tournait le dos à la route, qu’elle aurait aussi bien pu se trouver sur la planète Mars.

Le soleil flottait un peu au-dessus de l’horizon droit. Un vaste disque de flammes orange et mauves, ondoyantes, palpitantes, à peine entamé à sa base par les entrelacs des branches d’un bosquet d’eucalyptus. Une splendeur d’étoile vivante, en gros plan, qui évoquait à la jeune femme les couvertures des romans de science-fiction dont son père faisait la collection.
– Qu’est-ce que t’es chiant, papa, avec tes bouquins qu’il faut pas déranger l’ordre fais attention à pas casser la reliure, chiant, méga chiant mais quand même, merde, c’est beau !…
Elle aspira une longue, longue, longue latte, secoua sa tignasse noire et s’étira brusquement, bras et jambes écartées.
– YAOUOUOU !… Salut l’UNIVERS !…
Un de ses petits seins pointus s’échappa de sous la bretelle de son marcel noir sans qu’elle y prit garde. Ça lui arrivait souvent, surtout pendant les concerts, à l’occasion d’un solo de guitare bien speed. Ça faisait partie du show. Les mecs des premiers rangs mataient comme des malades. Tout juste si ils ne tiraient pas la langue pour baver dans leur bière. Mary-Maud s’en foutait. Si apercevoir un bout de nichon suffisait à leur bonheur. Et si, en plus, ça les poussait à recommander un verre, les soirs où l’arrangement avec le patron comprenait un pourcentage sur les consommations…
– Yeah ! Vive l’IMMENSITÉ !

Derrière elle se fit entendre le grincement de la porte latérale du van sur sa glissière.
– Qu’est-ce que t’as à gueuler comme ça ?
Revêche, la voix. Mauvais poil. Ouais, bien sûr.
Mary-Maud se retourna.
– Bonjour à toi aussi.
La fille aux cheveux blonds oxygénés, poupine, moulée dans une mini-robe rose, haussa les épaules.
– Bonjour Marilyn, insista la brune. T’as vu comme c’est beau ?
– Salut. Ouais, c’est beau. J’te signale que c’est encore moi qui ai fait le café.
Marilyn se retourna vers l’intérieur du fourgon, dans une posture penchée qui faisait ressortir son ample derrière, ramena à elle une casserole fumante et une grande boîte de plastique contenant du sucre, des biscuits et des confitures, hermétiquement fermée, à l’abri des hordes de fourmis.

Mary-Maud regarda un instant le tableau.
La vieille route au milieu du grand vide de nulle-part.
Le van rangé sur l’étroit terre-plein, blanc, cabossé et marqué de tâches de rouille.
Le logo du groupe peint sur la portière : « The Miss-Tics », avec un portrait de la sorcière du monde des canards de Walt Disney, outrageusement maquillée, le regard salace sous ses faux-cils, une énorme épingle à nourrice en travers du bec.
Sa fausse blonde de copine qui, assise au bord de la portière, ses formes rondes enrobées de léger, très léger tissu rose pâle, tenait dans une main un mug fumant et, de l’autre, allumait son smartphone,
– Suce-moi la chatte, connasse !
Elle le pensa mais ne le dit pas. À quoi bon envenimer une situation qui était déjà assez pourrie comme ça ?
– Tu ne peux pas penser des trucs pareils, se morigéna-t-elle. C’est Marilyn, quand même. Oh, putain, Marilyn, qu’est ce qui nous arrive ?…
– Tu bois ton café chaud, lança celle-ci en pianotant du pouce, ou tu continues à regarder le sable ?
Mary Maud éloigna du revers de la main les premières mouches du matin.
– Et toi, tu profites de ce paysage unique au monde pour te détendre ou tu continues à faire ta gueule de conne ?
Elle le pensa. Ne le dis pas. Rester cool. Ne pas aggraver une tension déjà limite supportable.
S’étant approchée, elle tendit ce qui restait du joint à Marilyn qui détourna la tête, accompagnant son geste d’un claquement de langue dégoûté, comme si Mary-Maud lui proposait elle ne savait quoi de rebutant. Une bite, tiens, au hasard. Puis la blonde rejeta son téléphone sur la couchette derrière elle en maugréant.
– Putain, le seul coin du monde où y a pas de réseau et il faut qu’on y soit ! Tu y crois, toi ?
Les deux filles avaient constaté l’inutilité de leurs portables une trentaine de kilomètres après avoir quitté Mount-Elizabeth, et pas d’amélioration depuis.
Mary-Maud préféra ne pas répondre à la question, toute rhétorique. Elle remplit un quart en aluminium de liquide marronnasse, attrapa sur la banquette la carte qu’elle avait piquée au comptoir de l’hôtel à Mount-Elizabeth et s’assit à côté de sa « potesse » tout en chassant d’un geste devenu machinal les mouches qui dansaient dans l’air autour d’elle.

Marilyn, la lippe boudeuse, ayant ouvert la boîte hermétique posée sur ses cuisses pâles, examinait un bout de cake aux raisins qui s’y trouvait, vérifiant qu’il ne faisait l’objet d’aucune attaque insectoïde. Mary-Maud suivait du doigt sur la carte la ligne rouge qui symbolisait la Wellington Road.
– Prochain arrêt, Jarra-Creek, annonça-t-elle. C’est à une trentaine de bornes. On pourra peut-être y faire des courses.
– Jarra-Creek, répéta Marilyn, la bouche pleine.
Et elle haussa ses épaules grasses, de laquelle une des fines bretelles roses avait glissé sur le bras, pour exprimer à quel point Machin-Truc-Creek ou ailleurs, ça la faisait chier tout autant.

(À suivre)

 

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