browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

Goanna massacre – épisode 45

Publié par le 2 novembre 2024

 

– Q… Qui êtes-vous ? balbutia Mary-Maud.
Ils étaient quatre dans la salle du pub. Un homme trapu et extraordinairement velu assis à une table, la main droite emmaillotée dans une bande Velpeau tâchée de sang, un gros pistolet posé devant lui. La femme blonde qui l’avait faite entrer. Une autre femme à l’air revêche, les traits carrés, les cheveux gris tirés en chignon. Et un vieillard barbu qui tenait un fusil à canon scié.
Ce fut lui qui répondit :
– Les habitants de Jarra-Creek. Les derniers, hélas, je crois. Et vous ?
– Musicienne. Enfin, je jouais de la musique avec…
La pensée de la mort de Marilyn lui creva le cœur. Des larmes se formèrent dans ses yeux.
– Avec mon amie, acheva-t-elle..
– Vous êtes française ?
– Oui. Vous aussi ?
L’homme se raidit.
– Belge d’origine. Sergent Raoul Desjoyaux, Légion Étrangère.
– Q… Qu’est-ce qui se passe ici ?
La dame à l’air sévère émit une sorte de ricanement. Elle avait en main une batte de baseball qu’elle balançait machinalement.
– Un cauchemar, voilà ce qui se passe, ma petite.

L’homme velu à la main blessée s’adressa à la grande blonde :
– Pourquoi tu l’as laissée entrer, celle-là ?
La femme haussa les épaules.
– Je ne sais pas. J’ai pensé que c’était ce qu’il fallait faire.
– Comme ça, d’un coup ?
– D’un coup. Ça m’a paru évident. Comme si une voix m’avait dit : « il faut sauver cette fille ».
– Sauver ? cracha l’homme. Ma parole, tu deviens complètement ding…
Un choc l’interrompit. Un goanna venait de se lancer la tête la première sur la baie vitrée. Il y resta collé un instant, comme un gigantesque gecko, puis glissa vers le bas, laissant une traînée sanglante sur le verre.
D’autres coups ébranlèrent la porte.
Le volet de la lucarne par où on servait les Aborigènes se mit à tressauter, comme si des dizaines de poings la martelaient.
– Un cauchemar, répéta la femme à l’air sévère.
L’homme se frotta le visage de sa main valide en soupirant.
– Ouais…
Il interpella la grande femme blonde :
– Maintenant qu’elle est là, ta petite protégée, emmène-la donc à la cuisine, qu’elle se prenne des couteaux.
Puis, à l’intention de Mary-Maud :
– Désolé, c’est tout ce qui nous reste comme armes. Je n’ai rien de mieux à vous offrir.

Main street grouillait de goannas. Il en sortait de partout. À croire qu’ils suintaient des murs.
Ils convergeaient vers le Golden Star, de cette même démarche têtue, à la fois paisible et menaçante, qu’ils avaient tous.
L’un d’eux, passant près du corps de Marylin, en préleva un bout dans le gras de l’épaule et continua sa progression tout en mâchant.
Mary-Maud gémit.
– Oh, Marilyn…
– C’était ton amie ? demanda la femme blonde.
– Oui, répondit-elle d’une petite voix.
– Plus qu’une amie, même, hein ?
– Oui, ça aussi…
Certains souvenirs doux, très doux, s’imposèrent à sa mémoire. Elle resta rêveuse quelques instants.
Elle inspira longuement, par à-coups, refoulant ses larmes. S’éclaircit la gorge.
– Et l’autre femme, là, en sous-vêtements ?
L’ancien militaire barbu s’était approché.
– C’est Margaret, notre infirmière. Une vraie grenouille de bénitier. Toujours fourrée à l’église. Elle était amoureuse du pasteur. Le père Aucliffe. Un vrai con, celui-là. Quand il est mort, elle a pété les boulons. Complètement siphonnée.
Sans quitter de ses yeux inquiets la trappe aux Aborigènes qui tremblait sur ses gonds, l’homme velu à la main bandée lâcha :
– Ce serait pas tant la merde, je rigolerai. Ça te va bien, tiens !
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Que t’en connais un rayon, question zinzin !
La femme blonde haussa les épaules, ce qui pour effet de faire danser son opulente poitrine.
– Tu ne crois pas que ça te va bien aussi, chéri ?
Elle adressa à Mary-Maud une sorte de sourire sans joie.
– On est tous devenus cinglés, ici.
– Vous êtes surtout devenus des assassins, intervint la femme sévère. C’est de votre faute, tout ça !
Le militaire se tourna vers elle.
– La ferme, Krista. Tu étais là aussi, que je sache !
– Je n’ai pas cogné le Nègre, moi.
– Peut-être, mais tu n’as rien fait pour empêcher les autres. Et moi, c’est pareil. Alors tais-toi, bleusaille. Quand on aura besoin de ton avis, on te sonn…

Il fut interrompu par le choc d’un goanna contre la vitre. La bête s’était propulsée depuis le sol à près d’un mètre cinquante de hauteur. Elle agita frénétiquement les pattes, comme si elle avait l’intention de l’escalader. Ses griffes raclèrent le verre, produisant un son désagréable. Un instant, on put croire que le grand lézard allait y arriver et s’élever plus haut. Mais la pesanteur fut la plus forte et il retomba lourdement au sol, disparaissant aux yeux des spectateurs.
Aussitôt, un autre monstre bondit et frappa le verre du mufle. Ses naseaux éclatèrent. Il retomba à son tour, laissant sur la vitre un long fil de sang noirâtre.
Sous ce dernier impact, le verre s’était fendillé.
Encore quelques attaques kamikazes comme celle-là, et le carreau dégringolerait à terre…

Desjoyaux réassura la crosse du fusil à canon scié dans sa main.
– Les enfants, déclara-t-il, le jour de gloire est sur le point d’arriver.
Vukan, lui, se saisit de son pistolet.
Il ne cessait de regarder le volet de la lucarne, de plus en plus secoué par les coups de boutoir des goannas.
Combien de fois s’était-il dit qu’il fallait remplacer ce vieux panneau de bois, presque vermoulu ?
Et poser d’autres vis ?
À chaque fois, il avait repoussé la tâche à plus tard et, à cet instant, le regrettait amèrement.
Combien de temps le volet tiendrait-il ?
Pas beaucoup, c’était sûr.
– Ouais, grinça-t-il. Le jour de gloire… On y va tout droit.

Desjoyaux éclata d’un rire sauvage et brailla :
– Entendez-vous dans la grande rue, les cris de ces féroces lézaaaaards…
– Féroces lézards mon cul, grogna Mila.
Et elle enclencha la culasse de sa Yastava.

(À suivre)

 

Laisser un commentaire