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Goanna massacre – épisode 13

Publié par le 9 mars 2024

 

Les mouches zigzaguaient, innombrables, en un nuage épais qui se faisait et se défaisait comme un vol d’étourneaux au-dessus du cadavre. Leur vrombissement conjugué était si fort, résonnant dans le vaste hangar aux piliers de métal et au sol de ciment nu, qu’il en couvrait presque les bruits de mastication.
Viande humaine… Bon… Mort…
Et aussi le son flasque des gouttes de liquide dégrippant qui s’échappaient d’une fiole renversée sur l’établi pendant le court combat et qui s’écrasaient l’une après l’autre sur le sol avec une régularité de métronome.
Plop… Plop… Plop…

Du dehors, filtrée par une large bande de tôles de plastique naguère transparentes, depuis longtemps jaunies et maculées de poussière séchée, sourdait une lumière assourdie, pisseuse, qui n’éclairait que le sol gris, maculé de vieilles tâches d’huile et d’essence, laissant dans la pénombre, au fond, les hautes structures des étagères de métal encombrée d’un fatras de matériel et de pièces mécaniques.
Homme blanc.. Mort… Bon…
Ce n’étaient pas vraiment des mots ni même des sons. Plutôt des vibrations de l’air, des grondements quasiment imperceptibles, comme ceux d’un orage très lointain. Ou les plaintes étouffées d’un damné enfermé aux tréfonds d’une grotte qu’aurait perçues un promeneur de hasard. Des pensées si puissantes qu’elles émergeaient dans le monde matériel, abstraites mais pourtant presque concrètes.
Colère… Tuer… Punir…

Une batte de base-ball, ayant roulé au travers de la dalle de ciment, s’était immobilisée au pied d’une pile de batteries de camions que chapeautait une bâche de plastique poussiéreuse.
À quelques mètres de là, près de la porte battante qui menait à la buvette, affalé de travers sur un cric pneumatique, un goanna ouvrait et refermait lentement ses mâchoires, poussant des hurlements silencieux. Il était plié en un angle bizarre à ses deux tiers, à l’endroit où son échine était brisée, un peu plus haut que le train des pattes arrière. Les contours de son corps long et massif paraissaient s’estomper, comme frottés par une gomme. Sa chair noire tigrée de blanc perdait de sa substance, semblait devenir transparente, laissant deviner en son travers les formes de l’outil métallique sur lequel il reposait.
Plop… Plop… Plop…

Étalé qu’il était de tout son long, les jambes écartées, genoux à l’extérieur, les bras jetés au-dessus de la tête, mains abandonnées, paumes vers le haut, avec sa chair blême qui se confondait avec le blanc sale du tricot de corps retroussé jusqu’aux aisselles, le cadavre de Dimitri Skafias semblait celui d’un bébé géant.
Un nourrisson qui se fût vautré à plaisir dans une mare de sang.
Un poupon de cauchemar à la moitié du visage arrachée, dont le ventre béant de l’aine au sternum découvrait, sous les bords déchiquetés de la plaie, deux épaisses bandes de graisse jaune pâle et laissait percevoir, très en-dessous, les luisances des intestins.
Un nouveau-né d‘un quintal et demi qui aurait été occupé à se faire dévorer par une demi-douzaine de grands lézards.

Les bêtes étaient réparties autour de la carcasse du gros Grec comme des fauves à la curée. Leurs griffes glissaient dans la sombre marmelade sanglante qui entourait le cadavre, ça et là irisée de traces arc-en-ciel de vieux fuel.
Deux des goannas dévoraient chacun un pied, broyant à grands coups de gueule des purées de viande et de petits os.
Un autre s’acharnait au creux du cou, mastiquant des tendons et des cartilages.
Les autres, les mufles plongés dans la viande du ventre se tordaient de plaisir et giflaient le sol de leurs queues pointues.
Et ne régnait plus dans le hangar que le son de lanières de cuir qu’elles produisaient, des claquements de mâchoires et d’ignobles déchirements de chair…

Le bourdonnement des mouches.
Le goutte-à-goutte qui s’échappait de la fiole de dégrippant.
Plop… Plop… Plop…

(À suivre)

 

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