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Goanna massacre – épisode 32

Publié par le 3 août 2024

 

Ça allait venir.
Ça allait venir.
ILS allaient venir.

Bersikovic ferma les yeux. Jusqu’à cet instant, la frayeur et le sentiment d’urgence d’aller se mettre à l’abri, ajoutés à l’horreur de la saloperie qu’il venait de commettre l’avaient comme anesthésié.
À présent, la souffrance s’éveillait.
S’éveillait ?
Non, elle surgissait de la grotte où elle était tapie comme une ourse furieuse, rugissante et bavante, prête à annihiler tout ce qu’elle rencontrerait.
Chaque battement du sang de Bersi produisait une boule de feu qui, naissant au creux de ce qui avait été sa paume, remontait le long de son bras, secouait son épaule, bloquait son cou et finissait par exploser dans sa tête.
Il ne fallait pas qu’il cède, pourtant. Il devait continuer à penser. Se préparer. Rester lucide pour ce qui allait venir.
Car il n’en doutait pas : ÇA allait venir.

Empotée de conne, elle n’allait pas redescendre, avec les bon dieu de putains d’anti-douleurs ?

Il s’appliqua à respirent calmement. Profondément. Inspiration. Expiration.
Il ferma les yeux.
Inspirer.
Expirer.
Pendant que sur l’écran de ses paupières défilaient les images de la scène.
Là-bas…

Alertés par les cris, ils avaient été quatre à se précipiter. Sam Richie et Franky Klemens, plus jeunes et en meilleure forme couraient loin devant lui. J.T. Walker, que ses bottes ridicules ralentissaient, était à la traîne.
– Pas possible ! Stop ! Pas possible !
Quand il était arrivé à la station-service, Sam Richie était déjà à terre. Un goanna lui dévorait la gorge. Un autre mâchait dans les tripes jaunes et luisantes de son abdomen déchiré.
Jenssen,
le berger, trépignait sur place et se griffait les joues en hurlant :
– Stop ! Pas possible !
Le regard de Vukan fut attiré par le cadavre du goanna sur le cric, l’échine cassée dans un angle douloureux.
C’était étrange.
Il semblait perdre de sa substance. Se dématérialiser. Devenir transparent.
Comme un dessin s’efface peu à peu sous les coups de gomme.
Puis, son œil se fixa sur la dépouille de Sfakias, massif comme un cachalot échoué. Une baleine qui aurait eu le ventre béant, au milieu d’une mare de sang noir, et un masque d’écorché.

Skafias.
Merde.
Skafias était gros. Skafias était déprimé au point que le moindre échange de paroles avec lui pouvait donner le cafard pour la journée. Skafias n’avait pas tiré le bon numéro à la loterie de l’intelligence…
Mais c’était un copain.
Quelques années plus tôt, les Bersikovic avaient eu un pick-up Datsun. Une de ces bagnoles ratée, on ne savait pourquoi, par la chaîne où elle avait été fabriquée, et qui ne cessait de tomber en panne. Un ventilateur ce jour-là. Une courroie de transmission un autre jour…
Skafias les avait toujours dépannés. Dans l’heure. Et gratuitement.
– Pas possible ! Stop ! Stop !…
Et
Sam Richie qui crevait là, sous ses yeux, bouffé par les plus gros lézards qu’il ait jamais vu.
Franky Klemens tombait à son tour, assailli par une demi-douzaine de monstres, bizarrement identiques, tout de griffes et de dents, qui surgissaient de l’obscurité du hangar.
Sam Richie hurlait.
– Au secours !
Vukan s’était retourné. J.T. Walker partait à reculons, agitant les mains devant lui.
– N… Non… N… N…
Il faisait volte face et s’en allait en courant. Ses bottes ne le gênaient pas pour détale
r, apparemment !

À partir de là, tout devenait confus dans la mémoire de Bersikovic.
Il savait que des lézards déboulaient en nombre, comme crachés par l’obscurité du hangar, derrière le corps béant du Grec. Qu’ils s’approchaient, tous identiques, épouvantables, silencieux, à la fois souples et raides, semblant mus par une unique volonté collective.
Du coin de l’
œil, il distinguait Maugham qui, debout sur sa Ténéré, se laissait tomber de tout son poids sur le kick de démarrage.
Il croyait entendre à l’intérieur de sa cervelle des mots atroces, porteurs d’une menace aussi froide qu’implacable.
Un piège à loups constitué de dizaines de lames s’était fermé sur sa main. La douleur était telle qu’il en avait eu le souffle immédiatement coupé.
Il avait baissé les yeux.
Sa main – sa main à lui, Bersikovic ! – se trouvait dans la gueule d’un des monstres qui, remuant la tête de droite à gauche pour
mieux la broyer ne cessait de dévisager sa proie, de ses yeux noirs comme des pierres et encerclés d’or.
Rassemblant tout ce qu’il avait de force en lui, Vuka
n avait levé le bras et frappé le goanna contre le pilier d’entrée du hangar le plus proche.
– Han ! Et Han ! Et HAN !
Le piège s’était ouvert, libérant une main qui n’était plus que cet amas de chair informe et sanglant. Le lézard était tombé à terre, la nuque brisée, la tête à angle droit du corps.

Bersi avait perçu dans son oreille le bruit du moteur de la moto de Maugham qui démarrait.
Des dizaines de lézards convergeaient déjà vers lui. Alors Bersi avait attrapé de sa main gauche les revers de la veste de Jenssen, l’avait soulevé en un effort dont il ne serait jamais cru capable… Et il l’avait jeté devant les bêtes.
Jenssen était tombé sur le flanc. Il avait hurlé :
– Salaud !
Deux goannas avaient déjà happé l’un par une épaule, le second par une
cheville. Les autres monstres avaient convergé vers lui.
Bersi en avait profité pour s’enfuir.

– Alors, tu te dépêches, oui ! cria-t-il à Mila qui redescendait, les bras chargés de boîtes et de flacons, le fusil-mitrailleur en bandoulière. Tu ne pourrais pas te bouger le cul !

Le dernier mot se transforma en un gémissement et il éclata en sanglots.

(À suivre)

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