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Goanna massacre – épisode 43

Publié par le 19 octobre 2024

 

Le visage et le corps trempé, la sueur lui piquant les yeux, elle se forçait à respirer régulièrement.
Après cinq tentatives de s’étirer au maximum, et cinq échecs, avec le bout de ses doigts à trois centimètres du couteau dans la boîte à gants, il fallait qu’elle reprenne son souffle.
Et, surtout, qu’elle conserve sa raison.
– Ne pas devenir folle… Ne pas devenir folle… se répétait-elle en mantra.
Ne pas se transformer en poupée déglinguée, ligotée sur son siège par cette fichue ceinture de sécurité comme par une camisole de force, hurlant comme une collégienne de série B dans la baraque du tueur. Ou bien riant à s’en déchirer la gorge. Ou encore gazouillant sans fin Love Me Tender, Le Curé de Camaret ou These Boots Are Made For Walking…

Que c’était tentant, pourtant !
Tout laisser tomber. Renoncer. Accepter de tomber cinglée…

Le rectangle de vide laissé par l’explosion du pare-brise était comme un écran de cinéma sur lequel était projeté le pire des films d’horreur.
Dans l’angle droit apparaissait la partie inférieure de la grosse femme en lingerie étalée sur le sol. Le grand lézard qui lui dévorait le pubis avait lâché prise. À présent, il marchait lentement à reculons, tenant dans sa gueule l’intestin de sa victime, qu’il s’amusait à dérouler, long ruban jaunâtre dont gouttaient des larmes de liquide gras.
La femme n’était pas tout à fait morte. Ses grosses jambes blanches continuaient de trembler, avec des soubresauts qui les faisaient se plier brièvement.
Au milieu de l’écran, à la lisière de la mare d’éclats de verre, Marilyn restait figée dans sa pose absurdement sexy, un bras tendu, la courbe de la hanche marquée, une jambe allongée terminée par un pied pointé de ballerine. Du sang partout. Ses yeux agrandis par la terreur, roulant dans leurs orbites, tâchant de suivre les mouvements d’un lézard exactement identique au précédent qui continuait à baguenauder autour d’elle, lui tirant à tout instant sa langue de diable fourchue.
À trente mètres derrière, à l’arrière champ, sous un porche, deux masses grouillantes de reptiles dont les formes révélaient en dessous des humains assis dans des fauteuils. Au sommet de la plus proche émergeait une tête, ou plutôt un crâne auquel adhéraient encore des lambeaux de chair rouge.
Plus loin, il y avait encore un cadavre étendu au milieu de la rue, avec d’autres lézards qui, apparemment, étaient occupés à le dévorer en cercle, comme une bande de fauves un corps d’antilope.
– Ne-de-vi-ens-pas-folle !

À mi-chemin entre Marilyn et les deux pauvres gens dans leurs fauteuils, à l’intérieur de l’épicerie fermée, « Jarra-Creek Memorial Supermarket General Store Groceries and Goods », avait retenti un coup de feu.
Mais franchement, dans ce contexte, qu’est-ce que Mary-Maud en avait à cirer, d’une simple détonation ?
C’était un détail. De l’ordre du négligeable. Une anecdote !

Soudain, elle cessa simultanément de respirer et de gamberger.
Du fouillis d’objets dans la boîte à gants qu’elle avait dérangés en essayant d’attraper le couteau surgissait un truc blanc qu’elle identifia aussitôt : le manche d’un couvert de plastique.
Elle se tendit la main, tira sur la ceinture, parvint à se glisser un peu sous la ceinture et l’attrapa.
Une fourchette de pique-nique.
Parfait. Vraiment parf… Oups !
Sa main était moite de transpiration et, l’espace d’un terrible instant, elle crut que le frêle objet allait glisser entre ses doigts.
Elle serra le poing.
– Pas de ça, merde !… Ouf !…
Elle posa l’objet entre ses cuisses, s’essuya les deux mains sur son tee-shirt.

Dehors, le goanna de Marilyn venait de se décider. Il attaquait par l’arrière. Il avait enfoncé ses dents sur la fesse de sa victime, en avait arraché un large bout, avec l’insouciance d’un gamin mordant dans une part de tarte et, à présent, il la mâchait à petits coups, tête levée, faisant rouler le morceau de chair entre ses mâchoires comme un chien en train de déguster un steak qu’il vient de voler à l’étal du boucher.
– Mary-Maud, qu’est-ce qu’il fait ?
Elle ne répondit pas. Elle s’appliquait à rester calme et à ne pas trembler, tandis qu’elle pointait la fourchette de plastique vers le Deejo.
– Je ne sens rien… Mais je sais qu’il me fait quelque chose… Mary-Maud, s’il te plaît…
La sale bestiole venait seulement de lui détruire le cul. Un popotin à la fois large et ferme, divinement rond, qui avait fasciné environ un milliard de mecs, sans compter un nombre appréciable de filles. Mais Mary-Maud ne voulait pas penser à ça.
Pas maintenant.
Pas encore.

La suite fut d’une simplicité épatante. Elle parvint sans difficulté à atteindre le couteau avec la fourchette, en coinça une dent entre les deux tiges, l’une de métal, l’autre bois, qui formaient le manche élégant (merci les designers branchés), et l’attira à elle.
Un instant plus tard, elle l’avait en main, déployait la lame.
Le goanna avait avalé son bout de jambon humain. Il s’en prélevait un autre, un peu plus gros, avec la même tranquillité.
– Est-ce qu’il me bouffe ? Mary-Maud ? Cette saloperie est en train de me MANGER ?
Un hurlement suivit.
Mary-Maud refusa de l’écouter.
Pas maintenant.
Pas encore…
Trop occupée qu’elle était à scier frénétiquement la ceinture à hauteur de son ventre.
Le couteau Deejo était neuf, la lame ultra-tranchante, mais le matériau de la sangle, une sorte de plastique tressé, était résistant, et le temps l’avait rendu dur comme un vieux cuir.
– Mary-Maud…
– J’ARRIVE, PUTAIN !
Elle leva un instant les yeux. Le lézard s’était déplacé. Il était maintenant à hauteur de la nuque de Marilyn.
– Il me souffle dans le cou, gémissait celle-ci. Qu’est-ce qu’il fait ? Je t’en supplie, dis-moi ce qu’il fait !

Ce qu’il faisait ?
Il ouvrait grand la gueule, montrant des dents si abondantes et hérissées qu’il paraissait y en avoir plusieurs rangées, et entre lesquelles restaient coincés des filaments de chair sanguinolente.
Il avait levé la tête et semblait la regarder, elle, Mary-Maud, avec elle ne savait quoi de moqueur dans l’expression.
– Qu’est-ce que tu déconnes, pensa-t-elle. C’est un putain de serpent à pattes. Il n’a pas d’expression !
Et pourtant, elle aurait juré qu’il la toisait. Qu’il la défiait. Qu’il se foutait de sa gueule.
Il lui semblait entendre sa voix dans sa tête.
Ton amie… Morte… Tuer…
C’était impossible, et pourtant…
Une voix narquoise et terriblement mauvaise. Un peu sifflante. Comme celle du serpent Kaa dans le dessin animé Le Livre De La Jungle.
– Arrête de déconner !
Tuer les Blancs… Ton amie… Et puis toi aussi…
– Arrête ça TOUT DE SUITE !
Tuer… Souffrir…
Elle se remit à scier la ceinture de plus belle.

Au moment même où le dernier brin de celle-ci cédait, alors que Mary-Maud, la poitrine libérée, s’apprêtait à crier de joie et de soulagement, elle entendit un sinistre craquement d’os qui étouffa le hurlement de victoire dans sa gorge et gela le sang dans ses veines.
Elle regarda, le cœur navré, sachant déjà ce qu’elle allait découvrir.
Les grands yeux bleus de Marilyn étaient braqués sur elle.
Vides.
Fixes.
Morts.
Le goanna avait la gueule refermée sur sa nuque. Ses yeux comme deux perles noires semblaient toujours contempler Mary-Maud. Sa queue se balançait paresseusement de droite à gauche.
Il serra plus fort les mâchoires. Les cervicales de Marilyn craquèrent de nouveau.
Le cri jaillit enfin des tréfonds de la poitrine de Mary-Maud.
– PUTAIN DE SALAUD !
Elle se propulsa de son siège hors du van, le couteau brandi.

Elle fonça, moitié à quatre pattes, moitié rampant, sans ressentir le moins du monde les éclats de verre du pare-brise lui lacérer les genoux et les poings.
En un instant, elle fut près de Marylin.
Du cadavre de Marilyn, dont les yeux grands ouverts contemplaient à jamais le néant.
Ses cheveux oxygénés poissés de rouge.
Le sang qui s’écoulait de son fessier et imprégnait sa robe, s’étendant rapidement sur le tissu rose.
Son odeur, qu’elle aurait reconnu entre mille, l’eau de toilette « Rocaille » dont elle s’aspergeait chaque matin, mêlée à celle, poivrée de sa transpiration.
Et la bête qui tenait sa nuque dans sa gueule et continuait à la défier de ses yeux sombres cernés d’or.
Le cœur de Mary-Maud chavira.
Elle leva haut le poing et l’abattit, plantant le Djeedo pointu dans le crâne du goanna.
Au lieu du choc qu’elle pensait ressentir quand la lame entra en contact avec le crâne, elle eu l’impression de poignarder une matière molle, comme de l’éponge.
La pointe du couteau traversa la chair du monstre sans rencontrer d’obstacle et heurta le bitume en dessous.
Du sang d’un rouge très foncé jaillit de la blessure et se ternit aussitôt, virant au gris.
Le corps du lézard sembla perdre de sa consistance, se dissoudre, s’estomper, comme une gouache passée sous l’eau.

Effarée, Mary-Maud se redressa, à genoux.
– Qu’est-ce c’est ? Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?…
Des mouvements aux limites de son champ de vision lui firent lever les yeux.
Le goanna qui avait tué la femme en lingerie délaissait son cadavre et s’approchait d’elle, traînant encore un long tronçon d’intestin jaune.
Plusieurs de ceux qui bouffaient les gens assis dans leurs fauteuils s’étaient désolidarisés de la masse grouillante de leurs pairs, avaient glissé à terre et marchaient dans sa direction.
Des bruits de reptation lui firent tourner la tête.
D’autres lézards, apparus d’elle ne savait où, arrivaient par derrière, leurs ventres frottant l’asphalte…
– Je suis foutue, pensa-t-elle.

– HEY, BRUNETTE !
Un appel.
La porte du bâtiment d’en face, un bar à l’enseigne du Jarra-Creek Golden Star, venait de s’entrouvrir sur une forte femme blonde armée d’un fusil-mitrailleur. D’un geste impérieux, elle fit signe à Mary-Maud de la rejoindre.
– Par ici ! Vite !

(À suivre)

 

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