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Goanna massacre – épisode 42

Publié par le 13 octobre 2024

 

Harriet avait trouvé Maugham dans le living room, tournant en rond sans but, le regard chaviré, avec à la main une bouteille neuve de Bruichladdich 16 ans d’âge, le whisky que Kaiser faisait venir spécialement d’Écosse.
Le bouchon et son enveloppe métallisée, tous deux arrachés à la va-vite, traînaient sur la table de cèdre. Le précieux flacon était déjà vidé à moitié.
Apercevant Harriet, le berger leva machinalement la bouteille dans sa direction pour un toast ridicule et, la main tremblante, la porta à sa bouche pour téter le goulot aussi avidement qu’un agneau le pis de sa mère.
En deux bonds elle fut sur lui et la lui arracha des mains.
– Pas le moment de picoler, abruti !
Maugham en resta bouche bée. Un, c’était la première fois qu’une femme le traitait d’abruti depuis que sa mère avait quitté ce monde, une bonne quinzaine d’années plus tôt. Deux, c’était la première fois depuis qu’elle était apparue au Double K qu’il entendait le son de la voix de miss Vanger.
La blonde de glace, la vierge froide, la foutue Suédoise, comme l’appelaient les bergers.
Celle-ci posa le Bruichladdich sur la table, hésita un instant, le reprit et s’en envoya une bonne rasade avant de le reposer.
Elle agita devant les yeux de Maugham un trousseau de clés.
– Amène-toi !
Toujours hagard et secoué de tremblements mais conquis par l’autorité de la femme, il obéit.

Ils gagnèrent l’arrière du cottage par un corridor aux deux murs décorés de portraits des Kaiser I, II et III aux différents âges de leur vie, passèrent devant la bibliothèque aux murs couverts de rayonnages et s’arrêtèrent devant la porte d’acier qui fermait la porte de la pièce mitoyenne.
Harriet examina le trousseau, sélectionna sans hésiter une clé mince au panneton compliqué et l’enfonça dans la plus haute des quatre serrures.
Maugham savait ce que renfermait la pièce.
Tandis que la Suédoise ouvrait avec la même rapidité la deuxième, puis la troisième serrure, il demanda :
– Euh… Miss Vanger… C’est-y qu’vous v’lez vous battre ?
Elle s’immobilisa et darda sur lui ses yeux bleus à l’éclat minéral.
La vierge de glace ?
La sacrénom de garce de glace, oui !
– Qu’est-ce que tu veux faire ? Te laisser mourir, comme l’autre faiblard ?
Maugham se dandina d’un pied sur l’autre.
– Ben… Se battre contre ÇA ?…
– Oui.
– Si qu’on s’en allait, plutôt ?
Harriet haussa les épaules, attrapa le berger par le bras et le força à la suivre dans la bibliothèque.
En face de la porte, une haute fenêtre donnait sur l’arrière de la maison.
– Vois toi-même.
Il regard et blêmit.
Au-delà de la clôture blanche, plus loin qu’à l’avant du cottage, à une centaine de mètres, le bush était devenu une vaste étendue de goannas qui marchaient vers eux.
– Dieu miséricorde !
Il alla à la fenêtre, l’ouvrit, se pencha et regarda à droite, puis à gauche.
– Bordel de miséricorde de Dieu, y z’ramènent de partout, c’est quesse qu’on est cernés !
Où qu’il portât les yeux, la vaste plaine était couverte de grands lézards presque noirs.
Des dizaines de milliers. Des centaines de milliers, peut-être.
Au-dessus de cette invraisemblable armée, soulevé par la horde de pattes, un long nuage de poussière rouge stagnait.
Maugham se recula.
– Ça… Ça… Ça…
– Alors ?
Il secoua la tête.
– Ben, ça veut dire qu’on est comme qui dirait morts !
Elle eut un demi-sourire. Son regard aigue-marine s’adoucit un instant.
– Comme qui dirait, oui. On y va ?

Elle retourna à la porte de fer.
Comme il était subjugué par le calme courage de la femme, d’une part, et que d’autre part les trente-cinq centilitres et quelques de whisky, ayant rebondi de son estomac jusqu’à sa tête, l’emplissaient d’une bravoure nouvelle, il la suivit.

L’armurerie avait les dimensions d’un simple débarras, mais Kaiser y avait entassé sur des racks et pendu à des clous un arsenal suffisant à repousser n’importe quelle agression.
Une révolte nègre.
Une attaque étrangère. Des nabots de Japs, ou ces sacrés chinetoques qui ne se sentaient plus pisser.
Une invasion extra-terrestre, pourquoi pas ?
Mais le déferlement de cohortes de lézards foutrement carnivores ?
C’était ce qu’on allait voir.

Il y avait une profusion de M 16 américains et de colts 45, les armes officielles des fantassins et des officiers américains dans les années 70, héritages de Kyles Kaiser II, qui avait servi deux tours au Vietnam et dont c’étaient les armes favorites.
Une dizaine de F88 Austeyr à chargeurs de 42 balles calibre 5,56 OTAN, version australienne d’un fusil-mitrailleur autrichien.
Des AK soviétiques et chinois, raflés d’occasion en Asie du Sud-est, pendant des voyages touristiques.
Plus d’autres pistolets, carabines et fusils plus anciens.
D’un même élan, Harriet Vanger et Maugham se portèrent devant un rack à part qui supportait les dernières acquisitions de Kaiser III : cinq fusils d’assaut allemands HK 416 et un lance-grenades à barillet Milkor Multiple Grenade Launcher sud-africain.
Six engins neufs, d’un noir luisant de carapaces d’insectes, blocs compacts de résine synthétique et de métal, trapus, méchants, hostiles au premier regard. Six machines qui, même au repos, clamaient leur fonction de cracher la mort à sept cents coups par minute.
Maugham prit deux HK. Harriet également, qui s’octroya aussi le MGL.
Soigneusement empilés sous le rack se trouvaient une vingtaine de musettes emplies de chargeurs de trente balles 5,56 et six de grenades 40 mm.

Les deux soldats improvisés traînèrent en plusieurs allers et retours les sacs de munitions jusqu’au living room et les répartirent sous les deux fenêtres, rebaptisés postes de combat.
Dehors, les premiers rangs des reptiles arrivaient déjà à hauteur de la moto de Maugham, toujours couchée là où il l’avait abandonnée en arrivant. Le reste du yard, derrière, n’était plus qu’une masse confuse et grouillante dont émergeaient les hangars, l’éolienne et le générateur.
L’un et l’autre chargèrent leurs fusils, en gardèrent un et appuyèrent l’autre au mur, à côté d’eux, en secours, au cas où le premier s’enrayerait.
Ils laissèrent le cinquième, chargé lui aussi, prêt à l’emploi, couché sur la grande table de cèdre. Ça pourrait servir, en cas de repli. S’ils avaient le loisir de se replier.
Maugham en profita pour reprendre la bouteille de Bruichladdich, qu’il posa à ses pieds.
L’observant, alors qu’elle finissait de charger le lance-grenades, Harriet se fendit d’un nouveau sourire en coin.
Une carrière de buveur entamée dès la prime adolescence s’achevait avec un single malt d’Écosse à cinq cents dollars le flacon. Il y avait pire.

Ils échangèrent un dernier regard, ouvrirent les fenêtres, épaulèrent.
Les bougainvillées qui encadraient la barrière d’entrée tremblaient, poussés par la horde. Déjà, une dizaine de goannas s’engageaient dans l’allée pavée.
– Feu à volonté, grinça Harriet.
– Yep ! répondit-il.

(À suivre)

 

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