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Goanna massacre – épisode 25

Publié par le 15 juin 2024

 

Ce n’était pas de la peur. Pas même de l’inquiétude.

Non.

La salle à manger du cottage, avec ses lambris de cèdre rouge, son lustre d’étain à six ampoules et ses tableaux représentant des scènes de chasse à courre, aurait pu se trouver au c
œur d’une campagne anglaise, plutôt qu’au fin fond de l’Outback du Queensland.
La grande table,
de cèdre elle aussi, et également le service à thé de porcelaine qu’Harriet Vanger, la gouvernante disposait dans l’ordre requis, l’assiette de muffins à vingt centimètres de la main droite du maître des lieux, auraient pu figurer sur une gravure de l’époque victorienne.
Et c’était très bien ainsi.
C’était la civilisation.
Merci, Harriet.
– À votre service,
Ma
ster.

Kyle Kayes III se levait avant l’aube, se douchait à l’eau froide, avalait un solide breakfast d’œufs frits et de bacon avant de rejoindre ses employés et d’examiner les problèmes de la journée. À dix heures trente, il s’offrait chaque matin ce moment de détente autour d’un brunch.
Non, ce n’était pas de l’inquiétude.
Certes, il y avait cette histoire de disparition de
King, Sultan, Princess et Jewell, les quatre bergers d’Anatolie.
Simultanée, qui plus est.
Certes, préoccupante…

Ces quatre-là devraient s’attendre, de retour de leur stupide fugue, à un sérieux programme de discipline !

Ayant attendu debout, les mains croisées sur le ventre et les yeux baissés, les trois minutes trente réglementaire de l’infusion du darjeeling, Harriet versa le thé dans la tasse de son patron, remplit la sienne et alla s’asseoir au bout opposé de la table, le dos droit, sans s’appuyer au dossier de la chaise, les yeux toujours baissés.
Bien.

Certes, il y avait eu des coups de feu.
Les tirs continus d’une arme de poing, estimait-il, du côté de chez les Nègres. Alors que son berger Jenssen lui avait affirmé plus tôt que les Aborigènes s’étaient absentés en masse, sans doute pour une de leurs cérémonies païennes et que le quartier était vide…
Hum…
Kyle prit un biscuit, le trempa au tiers dans le thé, compta mentalement trois secondes et le porta à sa bouche.
Parfait. Croquant, température, taux de sucre.
..

Parfait.

Il jeta un regard vers sa gouvernante.
Comme d’habitude, ses yeux coulèrent sur le corps de celle-ci. À quarante ans, Harriet Vanger conservait des formes agréables, dues sans doute, du point de vue de Kyle, à ses gènes scandinaves et à la vie saine du ranch. Oui, agréables. Même dissimulées dans une des ses éternelles robes grises.

Comme d’habitude également, il ne put se retenir d’un coup d’œil à la photo encadrée posée sur le guéridon près de la porte d’entrée. Sa femme, morte en couches dix ans plus tôt.
C’était au début de la crise de Jarra-Creek. L’unique docteur, un Juif uniquement préoccupé de ses intérêts, comme tous ceux de son engeance, avait fermé son cabinet un peu avant l’accouchement.
Quand celui-ci avait présenté des complications, Kyle s’était refusé à aller chercher du secours à Mount-Elizabeth, préférant s’en remettre aux soins de Nanny Skanska, la précédente gouvernante.
Au ranch du Double K, on faisait face à l’adversité avec ses propres moyens.
L’enfant n’avait pas survécu.
D’ailleurs, c’était une fille.

Nanny Skanska avait quitté le ranch, le service des Kayes et Jarra-Creek, comme tant d’autres, trois ans auparavant, bientôt remplacée par cette mystérieuse Harriet Vanger, dont on ne savait rien, sinon qu’elle était née en Suède.

Hum…

Et puis ces autres coups de feu, un quart d’heure plus tôt, du côté de chez les Shoemaker.
Mais bah… Ce retardé d’Eli Shoemaker n’avait sûrement pas dessoûlé, cuit comme il l’était la veille, au Star. Dans cet état, il était capable de faire n’importe quoi, y compris, dans une crise de colère, empoigner sa chère Remington et tirer en l’air.
Ou sur ses chiens.
Ou même sur sa femme et sa fille, la petite débile. Pour la perte que ce serait…

Kyles reprit une portion de muffin. Trempage. Deux secondes. Une bouchée. Un tiers. Très bien
De son côté de la table, Harriet Vanger buvait à son tour, silencieusement, le petit doigt dressé. Parfait.
Peu après son arrivée au Double K, Kyle lui avait proposé d’inclure dans ses fonctions des rapports
physiques réguliers. Elle avait refusé, alléguant une frigidité due à un traumatisme d’enfance. Une histoire de viol combiné d’inceste, s’il avait bien compris. Depuis, elle se montrait une excellente gouvernante, attentive, respectant les moindres détails de ses instructions, semblant se complaire dans cette obéissance passive. Mais pas de sexe.

Il but une gorgée de thé. Ses lèvres se tordirent en une moue contrariée : s’étant laissé aller à des songeries indignes de lui, il avait laissé refroidir le breuvage de quelques degrés de trop.
Il reposa la tasse un peu plus brusquement qu’il l’aurait souhaité. La délicate porcelaine de Chine sonna comme une clochette.
Non, il n’était pas inquiet.
Certes, il y avait ce sentiment diffus, un peu dérangeant… Comment dire… Une atmosphère… Quelque chose dans l’air…
Il y avait eu des rumeurs montant du village, à deux miles du ranch.
Des sortes de…
Des bruits…
Des cris, peu
t-être ?…
Et puis cette sensation vague que tout n’allait pas comme il fallait.
Mais non. Il n’éprouvait pas de mauvais pressentiment. Les mauvais pressentiments, c’était bon pour les mauviettes. Les intellectuels. Les effémin
és des villes.

Quand on était Kyle Kayes, troisième du nom, le « Kaiser », le maître du ranch Double K, on n’éprouvait pas de pressentiment.

Non.

(À suivre)

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