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Goanna massacre – épisode 34

Publié par le 17 août 2024

 

Sans que Kaiser en eut conscience, il avait laissé tomber à ses pieds la cravache, attrapée machinalement à la sortie du cottage.
Harriet
Vanger et Maugham, qui l’avaient suivi, s’étaient immobilisés comme lui, l’une à gauche, l’autre à droite, mais il ne percevait leur présence que de façon lointaine. Très lointaine.
Car ce qui se déroulait sous ses yeux ne pouvait pas exister. Plus exactement : il était tout à fait inadmissible que cela pût exister.
Aux yeux de Kyle Kayes, troisième du nom, c’était
 un tableau de l’impossible.

Au premier plan, à une trentaine de mètres du trio figé par l’horreur, il y avait Bronco, fils de Bronco, qui était, lui, fils de Bronco, qui était, etc.
Le meilleur bélier reproducteur du troupeau, actuel représentant d’une longue lignée.
Il
s’était d’une manière ou d’une autre enfui de son enclos particulier.
Et il
était pris à partie par une demi-douzaine de goannas.

L’animal, exceptionnellement fort et large pour un mérinos, accusant une hauteur de près d’un mètre au garrot, ruait alternativement des pattes arrière et avant, tournoyant sur lui-même, martelant le sol, soulevant des nuages de poussière rouge, tendant parfois le cou pour blatérer désespérément, de longs cris caverneux chargés d’une terreur folle.
Autour de lui, les grands lézards gris
le harcelaient comme les chiens de chasse à courre un grand cerf dans l’une des toiles qui ornait le living-room du cottage.
Se garant des coups de sabots, ils n’attaquaient que sur les flancs, quand ceux-ci se présentaient à eux, fusant alors, propulsés par leurs puissantes pattes arrières, gueules ouvertes sur des dents étincelantes. Même si l’épaisse toison de laine de Bronco
les gênaient pour mordre à fond, elle ne s’en imbibait pas moins de sang écarlate.
Bronco est fichu, s’entendit constater Kaiser
.

Un peu plus loin, au pied de l’éolienne, un lézard absolument identique aux autres, s’amusait avec un agneau blanc comme un chat le fait d’une souris, le prenant dans sa gueule, le secouant, le lançant en l’air, le rattrapant, lui infligeant une blessure, le relâchant de nouveau. L’agneau couinait d’une petite voix grêle.
– Méééé… Mééééé… Méééé…
Le losange d’écailles rouge qui ornait le front du goanna resplendissait par instant au soleil, comme l’eut fait un rubis.
L’agneau avait perdu une patte arrière. Un filet de sang coulait de son moignon de cuisse.
F
ich
u, lui aussi.

À l’arrière-plan, devant les hangars demi-cylindriques Nissen, les six derniers employés du Double K, en plus du vieux Maugham, Harrisson, Brima, Zaroff, Hersang, Talion et Cacoyanis se débattaient chacun contre un, deux ou trois de ces saletés de reptiles jumeaux.
Six gars qu’il avait tous embauchés lui-même, après une période d’essai qui, au Double K, sous sa houlette, tenaient plus des classes militaires que du stage de formation pour faiblards d’entreprise.
Six costauds, de bonne trempe, durs à la peine et aussi généreux et bons compagnons. Six vrais hommes du bush.
Cacoyanis était à terre, le corps secoué de soubresauts, tandis qu’un monstre le maintenait au sol, gueule refermée sur sa gorge.
Cassidy, un gamin blond de vingt-cinq ans, le plus jeune résident de Jarra-Creek
(avec lhomosexuel qui tenait General Store)
, courait éperdu, plié en deux, avec deux goannas sur le dos, griffes plantées dans ses épaules.
Fichus.
Tous fichus.

Il fallait encore ajouter à ce panorama de désolation l’ombre du Nissen n°2, là où on parquait les bêtes faibles ou malades et les brebis qui venaient d’agneler. Là régnait un désordre fait de cavalcades affolées dont montait une cacophonie de bêlements terrifiés.

Harriet tendit soudain le bras.
– Regardez !
Maugham s’exclama :
– Dieu du ciel !
Il se mit à psalmodier, la voix chevrotante :
– Notre père qui êtes aux cieux…
Kyle regarda dans la direction qu’indiquait la gouvernante et sentit simultanément ses testicules se rétrécir à la taille de raisins secs, un gouffre se creuser dans son ventre et tous les poils de son corps se raidir comme autant d’épingles.
– Que votre r-règne ar-ar-arrive…

(À suivre)

 

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