browser icon
You are using an insecure version of your web browser. Please update your browser!
Using an outdated browser makes your computer unsafe. For a safer, faster, more enjoyable user experience, please update your browser today or try a newer browser.

Goanna massacre – épisode 17

Publié par le 20 avril 2024

 

Dieu soit loué qui châtiait enfin la Putain de Bas-Étage !
Dieu avait envoyé l
a Bête !

Alleluïa !

La Bête se tenait allongée de tout son long sur le plateau supérieur du chariot d’inox.
La Bête était immobile.
Seuls les flancs rebondis de la Bête, animés d’un souffle calme et régulier, indiquaient que la Bête était un Être de vie et de Chair et de Réalité.
Les yeux noirs au
cercle d’or de la Bête étaient fixés sur elle, Margaret Hall, la Putain de Bas-Étage.
Les yeux lui promettant les Infinies Souffrances du Châtiment et, pour finir, l’Extase Ultime de l’Anéantissement.

Dieu soit loué dans son infinie Munificence !

Un médecin-psychiatre qui aurait eu l’idée saugrenue de s’arrêter à Jarra-Creek se serait sans doute inquiété de l’état mental dégradé de ses habitants, c’est à dire ceux, peu nombreux, qui n’avaient pas eu le bon sens de plier armes et bagages pour tenter de se reconstruire une vie ailleurs et le plus loin possible, s’il vous plaît !
La chaleur incessante,
le décor inhospitalier du bush, les rapports humains réduits à leur plus simple expression et l’angoisse de vivre en un lieu à l’évidence agonisant faisaient des ravages dans les esprits.
Mais nul cas clinique n’aurait plus horrifié l’homme de l’art que celui de Margaret Hall, l’infirmière du dispensaire, vierge de cinquante ans en surpoids, dévote
dont la vie intérieure avait toujours été dictée par la sévère religion luthérienne.
L’extr
ême solitude des longs après-midi torride passés dans sa petite salle d’infirmerie Ou bien la meurtrissure des genoux blessés par les heures de supplications sur les rudes prie-dieux de l’église… Les désirs inconscients qui, à force d’être inassouvis se mettaient à bouillonner dans son être… À quoi il fallait ajouter la passion secrète qu’elle avait porté à son supérieur, le pasteur Aucliffe, puis la mort de celui-ci et la fermeture définitive du temple…
Tout
cela l’avait, sans que personne y prisse garde, rendue complètement folle.
Cinglée.
Givrée.
À conduire d’urgence à l’hôpital des zinzins le plus proche, avec cellule capitonnée et camisole de force.

Sa psyché dévastée n’empêchait pas Margaret de conserver un semblant de conscience professionnelle.
Toute la nuit, elle avait veillé sur l’Aborigène rossé au pub des Bersikovic.
Elle avait lavé le sang
qui coulait de toutes les déchirures de la peau noire, du nez écrasé, de l’appareil génital détruit. Et aussi les deux filets rouges, jumeaux, qui ne cessaient de suinter des deux oreilles. Elle avait pansé les plaies comme elle le pouvait, elle, simple infirmière. Pour le reste, elle n’avait pu que constater les multiples fractures, l’avant-bras gauche, plusieurs côtes, la mâchoire, le crâne..
Elle lui avait injecté de la morphine, parcimonieusement, prélevant des petites doses dans la dernière fiole qui lui restait.
Le dispensaire avait toujours été modeste, une simple dépendance de l’église à laquelle il était accolé. Depuis le rappel à Dieu du révérend Aucliffe, seize mois plus tôt, il n’avait jamais été ré-approvisionné.
À quoi cela aurait-il servi, d’ailleurs, quand les habitants fuyaient Jarra-Creek les uns après les autres ?
L’homme, vaste amas de chair souffrante étalée sur l’étroit lit de moleskine, était resté inconscient et parfaitement immobile la plupart du temps.
Par moments seulement, un trembl
e
ment brusque l’agitait et il se mettait à respirer bruyamment, comme un cheval qui renâcle. Alors Margaret lui administrait un peu de morphine et faisait couler dans sa bouche de l’eau sucrée dans laquelle elle avait pilé un cachet d’aspirine.

Le reste du temps, elle avait prié Dieu, comme toujours. Elle ne pouvait pas s’empêcher de prier, quand bien même le Seigneur qui Voyait Tout et Toutes Choses savait ce qu’elle n’était pas l’infirmière dévouée et dévote, réservée, discrète jusqu’à l’effacement que ceux de Jarra-Creek croyaient.

Oh non, Seigneur !

Mais une Créature du Péché aux Obsessions Impures, une Âme Vicieuse qui profitait de chaque instant de solitude pour se rouler dans la Fange Abjecte de ses Obscénités.
Oh oui, Dieu savait qu’elle était la Femelle Dépravée, la Putain de Bas-Étage qui ne méritait que les crachats et les coups, le mépris et les quolibets, le fouet et le feu !

À l’aube, alors que les premiers feux dorés de la lumière avaient éclairé le store de la fenêtre, au-dessus du chariot à matériel médical, le blessé avait été secoué d’un dernier tremblement avant de s’immobiliser. Une palpation du pouls au poignet et une autre à la carotide avaient confirmé à Margaret ce qu’elle avait déjà compris. L’homme était mort.
Tandis que la lumière du jour envahissait la petite pièce, elle avait contemplé un moment le cadavre, le c
œur navré, déplorant la jeunesse du visage que les plaies et boursouflures n’avaient pas réussi à dissiper. Une face d’adolescent, encore empreint de douceur et d’innocence, que des hommes enivrés de fureur s’étaient acharnés
à marteler.

Alors le store de la fenêtre s’était soulevé dans un cliquetis de plastique bousculé. Le grand corps sombre et sinueux de la Bête avait semblé naître de la bande de soleil ainsi libérée. La Bête avait rampé sur le chariot et avait dardé son regard sur Margaret.
Et Margaret avait compris que Dieu, dans son Absolue Omniscience, avait décidé que le temps
à la fois béni et redouté du Châtiment, des délicieuses et atroces souffrances et de la Juste et Sublime expiation était enfin venu pour la Putain de de Bas-Étage.
Seigneur !… Ô Seigneur, merci…

Hâtivement, sans quitter du regard les yeux de pierre noire cernés d’or, elle arracha plus qu’elle ne défit les boutons de sa blouse, fit jaillir deux seins larges et alourdis par les ans qu’elle pétrit un moment avant de finir de se dénuder et de s’offrir à la Bête en se dandinant comme la plus Obscène des Filles Perdues de Babylone.
– Viens, oh oui,
la Bête, viens déchirer les chairs de la Putain !
Le grand lézard ne bougea pas.
Alors, Margaret comprit ce qu’elle devait faire. Elle allait tirer de sa cachette, dans la mallette du bas de l’armoire, les tenues secrètes qu’elle ne revêtait que dans l’ombre de la pièce soigneusement fermée à clé, pendant ses rêveries dégoûtantes et délicieuses. Et elle peindrait sa face avec le nécessaire à maquillage qui s’y trouvait aussi.
Oh oui, la Putain de Bas-Étage allait s’habiller et se parer comme il fallait pour le sacrifice.
– J’y vais tout de suite, Maître, murmura-t-elle. Un instant et votre
Immonde Femelle sera prête…

(À suivre)

 

Laisser un commentaire