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Goanna massacre – épisode 37

Publié par le 7 septembre 2024

 

Au-delà des hangars luisants, chacun frappé des deux K à la peinture blanche, la plaine s’était transformée en une houle sombre, d’un gris presque noir.
À perte de vue.
Jusqu’à l’horizon.
– Notre p-pain pain pain de ce jour… balbutiait Maugham.

Une mer de dos écailleux agitée de vagues, d’où surgissait ça et là l’éclat blanc d’une rangée de dents, le reflet du soleil dans un œil de pierre, la flèche d’une queue dressée.
– P-p-pardonnez-nous nos offenses…
Des milliers de goannas, serrés les uns contre les autres, ne formant plus qu’une seule masse, un monstre unique, impensable, tout de peau rugueuse, de griffes et de mâchoires, tout de force et de cruauté.
– Comme nous p-p-pardo-pardonnons aussi…
Et cela s’avançait, lent mais irrépressible, en entité certaine de sa puissance, qui savait qu’aucun obstacle au monde ne l’arrêterait sur la voie du carnage pour lequel elle avait été crée.

C’était un raz-de-marée.
Un cataclysme en marche.
Une dévastation digne d’une prophétie biblique hurlée du haut d’une chaire gothique par un moine devenu fou.

– Am-am-amen !
Maugham tourna les talons et détala en direction du seul abri possible, le cottage du maître. Harriet entreprit de le suivre, puis, constatant que Kaiser ne bougeait pas, revint sur ses pas.
– Kaiser, la maison ! Les armes !
Il ne répondit rien, ne lui accorda pas le moindre regard, hypnotisé par l’effarante marée de goannas dont, déjà, les premiers rangs passaient sous la clôture d’enceinte.
– Kaiser !
Elle le saisit par le bras, tira, le força à se tourner et resta bouche bée devant ce qu’elle découvrait.
Ces quelques secondes avaient suffi à transformer Kyle Kayes III, le fier et indomptable chef du Double K en un vieillard aux traits affaissés, les yeux et la bouche encadrés de rides. Les épaules, maintenues en un constant garde-à-vous, s’étaient affaissées. Le regard clair, incisif, qui forçait les plus durs des hommes à baisser les yeux, s’était vidé de toute substance. Des prunelles vides, hagardes, où ne se lisait plus aucune volonté.

Elle le gifla de toutes ses forces. Même ce geste, inconcevable une minute plus tôt, n’eut aucun effet.
– Patron, il faut réagir, vite !
– Sans doute, répondit-il d’un ton étrangement tranquille, comme s’il avait été devant sa tasse de thé, fumant son cigare philippin.
Elle jeta un regard vers la horde qui, à présent, parvenue à la ligne de hangars, se divisait pour les contourner en plusieurs rivières noires aux flots impétueux.
Une vague d’effroi la parcourut, mais elle ne voulut pas y céder.
– Kaiser, les armes ! Cria-t-elle.
– Les ?…
– LES ARMES !
Tout un arsenal de fusils de chasse et de guerre, plus un nombre invraisemblable de pistolets de tous genres était bouclé dans une petite pièce jouxtant la bibliothèque, au cottage. Elle était fermée par une porte d’acier à plusieurs serrures dont seul Kaiser, en bon capitaine, possédait les clés.
– Ah oui… Les armes… fit-il d’un ton indifférent, avec même un petit sourire indulgent aux lèvres, comme un adulte considérant un caprice d’enfant.
Il fouilla dans sa poche et en sortit un trousseau qu’il tendit à Harriet d’une main qui tremblait un peu.
Elle s’en saisit.
– Kaiser, supplia-t-elle. Vite ! Venez ! Il y a encore le temps !
– Mais non, voyons…
– Se battre ! On peut encore se battre !
Il retrouva un peu de son autorité pour la congédier d’un geste impératif de la main.
Elle n’insista plus et partit en courant.

(À suivre)

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