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Goanna massacre – épisode 15

Publié par le 23 mars 2024

 

Un peintre qu’aurait animé le désir étrange de représenter la désolation de l’outback australien aurait posé son chevalet à cet endroit.

Rien de plus inhospitalier que ce coin où le soleil et le ciel, d’une même teinte de métal blanc, cognent tout au long du jour la vaste plaine rougeâtre parsemée d’arbustes torves, de buissons hargneux et de mares de silex.
Sans doute le peintre remarquerait-il, brandissant son pinceau à la verticale, un œil fermé, comme font les hommes de l’art, que cette mer de sable apparemment plate est soulevée par une houle immobile, imperceptible, mais dont la légère bombance suffit à masquer les bâtiments et les baraquements aborigènes de Jarra-Creek, pourtant distants de moins d’un mile.
La vieille Wellington Highway file au travers ce décor revêche, rectiligne et grise, flanquée d’un alignement de minces poteaux de bois dont la plupart penchent d’un côté ou de l’autre, tirant sur les trois câbles qu’ils soutiennent,
deux pour l’électricité et un pour le téléphone.

C’est au pied de l’un de ces poteaux que, soudain, la terre se met à vibrer. Des sortes de bouillonnements la soulèvent par endroits. Des mouvements sinueux se dessinent.
Il y a là une sorte de vie animale énergique et désordonnée qui évoque la course d’insectes maléfiques sous la peau tendue d’une victime dans un film d’horreur.

Et à ce moment-là, le peintre, s’il a pour deux sous de bon sens, abandonnerait sur le champ son chevalet, ses toiles et ses tubes de couleur pour cavaler à toutes jambes le plus loin possible.

Sept goannas surgissent du sol en même temps, presque en ligne.
En
bons petits soldats de l’enfer, identiquement gris sombre marbré de blanc, arborant le même losange rouge rubis au front, les yeux pareillement noirs cerclés d’or, ils se précipitent aussitôt sur le poteau et entreprennent de l’escalader.
Leur manœuvre est maladroite. Les griffes cornues glissent le long du bois. Les longs corps un peu patauds se hissent de quelques centimètres avant de retomber, se bousculant les uns les autres. Indifférents, obstinés, ils repartent à l’assaut et retombent de nouveau. Alors ils recommencent encore et encore, dans un entêtement imbécile, évoquant alors ces jouets d’enfants à remontoir quand ils buttent sur un obstacle et continuent de marcher sans avancer.
– Rrrron… Rrrron… Rrrrrron… croirait-on entendre.

Une dizaine d’autres lézards tout aussi semblables émergent à leur tour, rejoignent les sept premiers, leur grimpent dessus, tentant à leur tour de s’agripper au poteau.

Vingt autres apparaissent.

Cinquante.

Cent.

Qui, aussitôt matérialisés, courent au poteau et se hissent sur leurs congénères.

Maintenant, c’est depuis des dizaines de mètres à la ronde que le sable vomit des goannas au même mufle indifférents, aux mêmes regards vide et durs, aux mêmes gestes de robots.
Bientôt, c’est un amas grouillant de reptiles qui s’agite au pied du poteau. Un masse d’un mètre cinquante de hauteur, puis deux, qui ne cesse de grossir. Un bloc grouillant de peaux grisâtres dont s’échappe parfois, l’espace d’un instant, une gueule triangulaire ouverte sur un cri silencieux, une serre de bakélite étincelant un instant dans la lumière du soleil, une queue cisaillant l’air comme le fouet d’un tortionnaire.

Une plainte retentit.
Une autre.
Un
e
troisième, grinçante comme le gond rouillé d’une porte de ruine.

C’est le poteau de bois qui cède sous le poids et se met à tanguer sur sa base.

Son sommet, orné de l’équerre à boules de porcelaine qui supportent les trois câbles de l’électricité et du téléphone, commence à pencher de façon imperceptible puis de plus en plus sensible.

Tandis que, surgissant par milliers du sol rougeâtre, toujours plus de goannas accourent en renfort…

(À suivre)

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