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Goanna massacre – épisode 24

Publié par le 8 juin 2024

 

Le hurlement suraigu et continu de la petite fille emplissait la grange.

Un son affreux qui paraissait à la fois solide, figé dans l’air lourd, chaud, empesé d’odeurs mêlées de paille et de vieux gasoil, et haché par les rideaux de clarté tissée d’épaisse poussière qui tombaient des fentes entre les planches.

BANG !

Le portail s’ouvrit d’une volée, propulsé par un coup de talon d’Eli Shoemaker, dont la silhouette surgit en contre-jour dans le bloc de lumière soudain libéré.
SHLIK-SHLAK !
Le chargement de la culasse du shotgun.
– NELLY !

La gamine n’avait plus qu’un bras.
La moitié de son visage
n’était plus qu’une masse sanglante. L’œil pendait, bille blanche et luisante au bout du nerf optique jaunâtre. Le goanna responsable de cette abomination se tenait accroché à son dos, les griffes plantées dans la chair des minuscules épaules. Il semblait que Nelly avait désormais deux têtes, comme le personnage d’une affiche de vieux cirque montreur de monstres, l’une en bouillie, l’autre reptilienne, la gueule fendue dans
ce qui semblait être un sourire sardonique.
Derrière, allongé en courbe sur le moteur à nu d’une vieille bagnole sur cales, un deuxième goanna tenait entre ses mâchoires le bras de la petite, sa menotte abandonnée à un bout, une plaie bordée de charpie dont dépassait la tête blanche de l’os à l’autre.

C’est sur celui-là que Shoemaker tira, l’arme à la hanche.
L’âme emplie d’un mélange d’horreur, de peur et aussi d’une immense désolation, une partie de sa conscience sachant déjà que rien ne pourrait plus sauver sa fille, sa Nelly, sa chérie, son unique soleil, il tira. Et, une autre partie de son être ayant instantanément recouvré ses réflexes de soldat, il tira juste.
Le goanna parut exploser par le milieu et les deux parties de son corps sectionné volèrent de chaque côté de la carcasse de voiture, alors que ce qui re
stait du bras de Nelly restait coincé, livide et pitoyable, entre deux aspérités du bloc moteur.
La déflagration, dans l’atmosphère étrangement épaisse qui baignait la grange, lui parut assourdie, comme étouffée, tandis que
continuait de résonner, sur une seule note, le hurlement de sa fille dévorée par les monstres
Eli Shoemaker pivota légèrement.
SHLIK-SHLAK !
Il appuya de nouveau sur la détente, visant l’obscurité du fond, là où semblait régner une activité grouillante, abjecte, de formes sinueuses, vaguement luisantes.

Eli bondit en avant.
Sa main se serra sur la nuque du goanna perché sur Nelly. Sous ses doigts, la chair était
molle, spongieuse, sans réelle consistance mais parcourue de muscles solides qu’il sentait rouler, durs, contre sa paume.
Mobilisant toute sa force, gémissant entre ses dents comme un haltérophile à l’effort, il parvint à soulever l’animal. Les griffes plantées dans les épaules de Nelly s’en détachèrent et, comme si c’étaient elles qui la soutenait encore, la petite s’effondra.
Eli, son avant-bras puissant tendu à rompre, brandit devant lui le goanna.
Ils étaient face à face, maintenant.
Gueule à gueule.
Mort…
L’homme rugissant, la face déformée par la haine. Le lézard ouvrant largement sa bouche, dévoilant dans un cri silencieux d’infinies rangées de dents aiguës comme autant de crocs, alors que ses yeux de pierre noire se plongeaient dans ceux de son ennemi.
Mort… Mort… Mort…
Les pensées grossières du reptile
cognèrent l’esprit de Shoemaker comme des poings de métal. Il leva le shotgun, en enfonça d’un grand coup le canon dans la gueule du lézard, à fond, et écrasa la détente.
Mort… M…
La tête du goanna disparut, se volatilisant en une myriade de particules de chair et de gouttes de sang. Poussant un nouveau feulement, l’homme jeta au loin le corps devenu aussi flasque qu’une serpillière
.

Eli ! Au sec… !
Joanna. Sa femme.
– Aide-moi ! Eliiiii… !
Il n’eut ni le temps de se réjouir d’avoir vaincu le lézard ni celui de se pencher sur le corps torturé de sa petite fille. Les cris venaient de derrière lui.
Il fit volte-face
.

Joanna, sans doute alertée elle aussi par les hurlements de Nelly, était sortie de la maison et avait commencé d’accourir.
Un lézard était sur elle.
Trois autres l’entouraient, têtes levées, gueules ouvertes. Une dizaine d’autres rampa
ient vers elle.
– Eli !
Atterré, le cœur sur le point d’exploser, il vit que le goanna qui était sur sa femme avait planté ses griffes dans sa robe. Le tissu léger se déchira et le lézard
tomba lourdement à terre sur ses quatre pattes, empêtré dans ce qui était devenu un chiffon.
Eli tira de l’intérieur de la grange, le clouant sur place.

Joanna se retrouvait nue.
Une autre de ces créatures de l’enfer bondit à la place du précédent, planta ses griffes dans le ventre dénudé et s’en servit comme appui pour se hisser plus haut. Ses mâchoires se refermèrent sur le sein droit, aussitôt arraché d’une seule torsion.
Trois autres bêtes se lancèrent à l’assaut. Paniquée, hurlant à pleine gorge des cris, tapant au hasard de ses poings dérisoires les monstres qui plongeaient leurs gueule
s dans ses chairs, Joanna cogna de la hanche le vieux fût de gasoil où brûlait encore un feu.
Il se renversa. Un flot de cendres et de braises se répandit sur la poussière.
Joanna se jeta au sol et tenta de rouler sur elle-même,
dans l’espoir que la chaleur ferait lâcher prise ses assaillants. Une nouvelle bête apparut, comme jaillie de terre, à côté d’elle et, lui broyant la gorge d’un seul coup de dents, mit un point final
à cette espérance.

Un long gémissement guttural sortit de la gorge de Shoemaker.
Le vacarme de ce qui semblait être des dizaines de reptations se firent entendre derrière lui.
De nouveau, il se retourna.

Ô Seigneur…
I
ls étaient partout.
Une bonne dizaine était occupée à déchiqueter le corps de Nelly, petite chose en lambeaux dont il était difficile de croire que, quelques minutes plus tôt, elle avait eu forme humaine.
Ils se bousculaient en une grappe de gueules menaçantes sur le moteur de la vieille voiture. Ils surgissaient du coin d’ombre où s’entassaient des cageots et des cartons
pleins de bric à brac. Ils rampaient le long des poutres comme de gigantesques rats. Ils étaient au moins dix à converger vers lui de leur démarche sinueuse.

Avec ce qui restait d’esprit militaire dans son cerveau affolé et bouleversé de chagrin, Eli Shoemaker comptait.
Le chargeur de la Remington contenait cinq cartouches de 30.
Il en avait tiré quatre.
En restait une.
Il se planta le canon dans la gorge. Beugla :
– ALLEZ V’FAIRE ‘CULER !

Durant la fraction de seconde que mit la charge mortelle à jaillir du canon, il ressentit une dernière fois toutes les souffrances, les travers, les déceptions et les amertumes de sa vie foireuse. Puis tout cela, avec les images de Joanna se roulant dans les braises et celle du corps torturé, méconnaissable, de sa petite fille, sa Nelly, sa chérie, son amour, tout cela disparut dans un éclair de feu rouge éclatant qu’accompagnait un lointain coup de tonnerre.

(À suivre)

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