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Goanna massacre – épisode 16

Publié par le 13 avril 2024

 

Ce n’était pas vraiment de l’angoisse.
Non.
Quand
on s’appelait Kyle Kayes III, troisième du nom et troisième à être surnommé « Kaiser«  sur un territoire qui allait de
Mount-Elizabeth à la frontière du Northern-Territory, on ignorait ce que c’était, l’angoisse.

Inquiétude ?
Crainte ?
Mauvais pressentiment ?
Bon pour les faibles, ça !

Kyles ne se le formulait pas intérieurement, tandis qu’il remontait l’allée dallée, ses bottes de combat impeccablement cirées claquant sur les pierres blanches. Pas exactement. Pas avec des mots car les Kaisers de ce monde ne se livrent pas à l’introspection comme les intellectuels efféminés des villes, ces pourrisseurs de civilisation, mais l’idée générale était là, dans sa tête.
Pas d’angoisse.
Jamais.
Pas plus ce matin qu’un autre jour.

Parvenu à la clôture du cottage, il se retourna et, un poing sur une hanche, l’autre serrant le manche de la cravache coincée sous son aisselle, appela encore une fois :
– King !… Sultan !… Princess !… Jewell !…
Le dos parfaitement droit, sanglé dans un de ces ensembles pantalon et veste-chemise d’épaisse toile brune qui étaient son uniforme de tous les jours, il scruta un moment son domaine.
Les quatre abris
semi-cylindriques Nissen de fibrociment, parfaitement alignés, chacun ayant son utilité. Un, le garage à véhicules et à motos. Deux, la bergerie pour les agnelages. Trois, la salle de tonte ou trois bergers s’affairaient, en vue d’une prochaine session. Quatre, lentrepôt à fourrage, où deux autre employés s’activaient.
À une cinquantaine de mètres, l’éolienne surplombant le réservoir d’eau circulaire en aluminium, tous deux si soigneusement frottés, si brillants qu’il semblaient d’argent.
Plus proche de Kaiser, l’énorme générateur orange flanqué de sa tonne de carburant cylindrique, peinte en blanc et frappée en grandes lettres rouges du double K, initiales du propriétaire, nom et symbole du ranch.
Tout était en place. Comme il le fallait. Net, propre et luisant dans la lumière écrasante du soleil. Comme l’exigeait la civilisation.
Ça, c’était un mot que Kaiser aimait à penser et à prononcer.
La civilisation,
c’est à dire la discipline. C’est à dire la volonté. C’est à dire l’attitude
exempte de toute négligence que cette terre dure et inhospitalière des confins intérieurs du Queensland ne pardonnait jamais.

Impeccable.
Tout.
Toujours.
Civilisé.

Et les couards de Jarra-Creek pouvaient bien fuir si ça leur chantait, le village crever jusqu’à devenir un amas de baraques fantômes le long de la vieille Wellington road, le ranch du Double-K, lui, resterait debout, foi de Kyle « Kaiser«  Kayes, troisième du nom. Tel qu’il avait été crée en 1928 par Kyle « Kaiser«  Kayes 1er et son frère Ken, et tel qu’il le serait pour l’éternité.
Et amen. Putain de amen.

Sauf que ce matin…
– King !… Sultan !… Prince !… Jewell !…
Sauf que manquaient les chiens. Les quatre bergers d’Anatolie. King et Princesse, les parents. Prince et Jewell, leurs enfants. Quatre magnifiques bêtes hautes comme des dogues allemands, à l’épais pelage blanc qui garantissaient la sécurité de la propriété pendant les nuits, prêts à sauter à la gorge de tout intrus.
Quatre fauves que les négros appelaient entre eux les
« white devils« , les démons blancs, avec de la trouille au fond de leurs yeux de charbon.
Des bêtes dont même les employés se méfiaient, y compris le vieux Greg Pastorius, le vétéran de gue
rre qui était le contraire d’un froussard !
Quatre bêtes de race qui, chaque matin, attendaient en ligne sur le perron du cottage, assis, droits comme au garde à vous, chacun et chacune devant sa gamelle d’inox
, attendant que leur maître y verse le mélange de viande de bœuf premier choix livrée chaque mois de Mount-Elizabeth et de bons légumes bouillis auquel, en tant qu’animaux d’élite, ils avaient droit.

Ce matin, ils n’étaient pas là.
Ni sur le perron ni ailleurs.
Vos animaux de Blancs le sentiront… Vos chiens de Blancs… Vos chats de Blancs…
C’était ce que la Négresse folle lui avait crié au visage, la veille, chez Bersikovic. L
‘ancêtre, avec ses cheveux en pointes, sa face de pruneau tordue par la douleur, la peur et la colère, pointant son doigt tordu sur la poitrine de Kaiser.
– Ils le sentiront et ils s’enfuiron
t… Ils vous laisseront seuls… Alors les goannas naîtront de la terre pour vous dévorer !…
C’était ça qu’elle dégoisait comme une furie, tandis que d’autres négros emportaient le grand connard inconscient.
Ah, on lui avait bien réglé son compte, à celui-là. Et prestement ! Il avait suffit à Kaiser d’en donner l’ordre du coin des lèvres :
– Corrigez-moi ça !
E
t tout le monde s’y était mis. Du poing et du pied. Même quand le primate avait été à terre, bavant du sang et pleurant et geignant des supplications dans sa langue de singe.
Montrez-lui que c’est le Queensland, ici !
Même cette grosse larve de Grec s’y était mis.
– Allez,
l’obèse, sois un homme !
P
arce que, lorsque Kyles Kayes, le Kaiser, le gardien de la civilisation, ordonnait quelque-chose, au pub des Bersi comme partout dans Jarra-Creek et aux alentours, on obéissait !
– Vos chiens de Blancs partiront et alors les grands lézards viendront…

King, Sultan, Prince et Jewell avaient bel et bien disparu, mais le Kaiser refusait de relier leur absence à la prétendue prophétie de la vieille.
Il refusait de s’inquiéter.
Kyle Kayes III n’avait même pas à refouler son appréhension, pour la bonne et simple raison que
les Kaiser de ce monde n’en éprouvent pas, de l’appréhension.

Il pivota sur ses talons, poussa le bas portail blanc qu’encadraient deux épaisses bougainvillées roses et, le menton levé, le pas assuré, s’engagea dans l’étroite allée bordée de cailloux qui menait à la maison de maître.

(À suivre)

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