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Goanna massacre – épisode 11

Publié par le 24 février 2024

 

Joooolllllliiiie…
Dans un premier temps, Nelly Shoemaker ne prêta pas attention à la voix.
Jooooollllliiiiiiie…. Gentiiiiiiillllle….

Toujours assise dans le yard devant la baraque de ses parents, seulement vêtue d’un tee-shirt trop grand, effiloché aux bords des manches, ses longues boucles orange, de l’exacte couleur du fil électrique de cuivre, brillants dans la lumière du soleil, la petite fille était trop occupée à expliquer à Lamby, son agneau en peluche, son confident en tous sujets, comment les chiens avaient disparu.
– Tous partis qu’on sait pas où, papa qui sait tout il a même pas vu
ça c’est un mystère, tu ne crois pas ?
Oui, approuvait Lamby, un vrai mystère de merde de bite à cul !

Ce n’était pas une voix, d’ailleurs. Elle n’était pas faite de sons qu’elle entendait avec ses oreilles, comme quand maman l’appelait pour le manger ou le laver de la toilette ou bien le ranger tout-ce-bordel-tout-de-suite.
– Joueeeeeer… Jjjjjjjoooooolllllliiiiie…
Non, pas une voix véritable, comme celles qui lui parvenaient en ce moment même de l’intérieur de la maison. Il y avait les grondements sonores de son papa, un peu pâteux, signe qu’il avait bu du viski, et les couinements de chiot qui a mal de sa maman.
Jouer… Venir jououououer…
Pas non plus une voix qui existait seulement dans sa tête, comme celle qu’elle donnait à Lamby pendant leurs discussions, en profitant pour lui faire dire tous les mots interdits, sales pas beaux caca qui, prononcés par elle et entendus par son père lui aurait valu des coups qui font mal. Parce que quand papa cognait on avait mal sur le moment et après ça durait longtemps.

Gentiiiiiillllllle…
Nelly redressa la tête, serrant le vieux Lamby sur sa poitrine, et regarda en direction de la grange.
L’espèce de longue cabane de planches grises au toit de tôles affaissé en son milieu, à la porte entrouverte penchée sur ses vieux gonds rouillés.
Le hangar sombre où elle n’avait pas le droit d’aller car il y a des trucs qui coupent c’est dangereux et que je t’y prenne tu vas voir.
La voix qui n’en était pas une mais qui en était une quand même venait de là.

Elle était gentille.
Amicale.
C
âline.
Elle faisait envie.
– Venir jouer… Jolie… Gentille… très très trrrrrès jjjjjjjjjjolie !….
Nelly se pencha et proposa à l’oreille de Lamby :
– On va 
jouer?
– Gneu gneu gna gneu… répondit la peluche, car elle le tenait trop serré. Elle relâcha la pression de son bras et souleva le jouet,
portant le museau fripé et l’unique œil de plastique à hauteur de son visage.
– On y va ?
répéta-t-elle.
– C’est putain des couilles
d’interdit, c’est dans la grange.
– Trouillard !

La petite fille posa la peluche et, l’abandonnant là sans autre forme de procès, se dirigea vers la grange, moitié rampant, moitié à quatre pattes sur le sol poussiéreux .
Elle savait marcher sur ses deux jambes et se tenait toujours debout quand son père était à portée de vue, sous peine de se faire attraper par l’épaule et relever de force
non mais t’as pas honte de te traîner comme une bête, mais elle préférait ça, surtout quand elle jouait avec les chiens.
Seulement, ils étaient tous partis ce matin, les chiens, et c’était quand même triste.

Arrivée devant la porte, elle se retourna pour observer la maison. Les geignements de sa mère s’étaient tus, signe qu’elle avait gagné la chambre où elle allait pleurer un moment allongée sur le ventre en travers du lit.
Les aboiements de papa s’étaient calmés aussi.
Ça voulait dire qu’il s’était assis à la table de la cuisine et avait attiré à lui la bouteille de viski. Il n’allait pas en bouger pendant un bon moment, à se verser des verres et à les boire en regardant rien.

Nelly se coula contre la porte.
Jolie… Gentille… Venir jouer…
Oui, l’étrange voix venait bien de l’intérieur. De ce noir opaque découvert par la vieille porte
entrouverte, en contraste avec la lumière blanche du soleil au dehors. En même temps qu’elle, il y avait des bruits.
Des vrais bruits.
Des frottements.
Des mouvements qui avaient quelque chose d’animal.
Une bête
?
Nelly s’immobilisa.
Une bête, ça pouvait être dangereux.
Nelly le savait. Il y avait tout un tas de bêtes sauvages dans le bush. Des coyotes. Des rapaces. Des insectes. Des serpents. Des bêtes qui faisaient du mal avec leurs dents, avec leur venin, avec leurs dards, avec leurs becs…
Dans l’embrasure du portail de la grange, la voix bizarre se fit press
ante.
Venir… Pas peur… Venir jouer maintenant… TOUT DE SUITE !…

Dans un mouvement qui fit flamber ses bouclettes rousses, la petite fille eut un dernier regard en direction de la maison. Elle s’imagina courir vers elle et pousser la porte. Son papa l’accueillerait dans la cuisine, la porterait et la poserait sur ses genoux pour lui caresser les cheveux.
– Ma petite fille chérie. Y a que toi, ma petite chérie…
Ou bien elle rejoindrait sa mère qui l’attirerait sur le lit et la serrerai contre elle,
– C’est bien que tu sois là, mon c
œur…
Elle la serrerait très très fort en frottant contra sa joue la sienne humide de larmes.
Et ce serait bien.

Venir jouer maintenant… Venir jouer tout de suite !

La gamine haussa ses petites épaules tavelées de tâches de rousseur, et, marchant sur les mains et les genoux, se glissa à l’intérieur de la grange.

(À suivre)

 

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